Savez-vous que certains grands succès ont été écrits sur un coin de nappe, en un quart d’heure ?
Génial, non ?
Qu’on m’apporte tout de suite un coin de nappe !
Un quart d’heure plus tard, la chanson est là. Le travail est fini !
Et bien, pas tout à fait !
Même dans cette circonstance (plutôt exceptionnelle, on l’a compris), il convient de soigneusement relire ses chansons, (et re-re-re-relire) avant de les valider définitivement.
Pourquoi ce travail de relecture est-il indispensable, et à quel moment doit-il intervenir ?
Relire ses chansons, qu’est-ce que ça veut dire ?
Un préalable : laissez agir l’inspiration !
Une chose est sûre : lorsque « l’inspiration » frappe, ou plus modestement lorsque vous êtes dans la phase de création pure, c’est votre pensée divergente qui agit.
Surtout, laissez-la faire : n’interrompez pas votre création. Notez, notez, notez !
Pour en savoir plus sur cette question, reportez-vous à l’article qui traite de « pensée divergente, pensée convergente » (publication à venir) dans ce blog.
Lors de cette phase de production, qui peut être parfois fulgurante, parfois douloureuse, souvent débridée et incompréhensible pour l’auteur lui-même, aucune censure, aucun jugement n’est de mise : l’élan de votre pensée ne doit pas être brisé.
C’est pour cette raison qu’il sera indispensable, dans un deuxième temps, de relire vos chansons.
Peu importe que vous ayez déjà pesé ou non chaque mot : la relecture est indispensable.
Relire ses chansons, pourquoi ?
Il suffit de jeter un coup d’œil aux brouillons des plus grands auteurs pour s’en convaincre : la bonne chanson n’arrive pas du premier coup. Les premières versions des plus grandes chansons sont souvent de piètres balbutiements truffés de maladresses. Et c’est bien normal !
J’ai eu le privilège d’avoir en main des brouillons de Georges Brassens. Certaines premières versions semblent confondantes de médiocrité. En réalité, il n’en est rien : les idées se construisent peu à peu, comme une chrysalide en pleine mue. Tout le génie de Brassens a été de ne pas s’en contenter et de s’obliger à les peaufiner jusqu’à la perfection.
En matière de création, on connait le ratio entre inspiration et transpiration. J’ai bien peur qu’à ce stade, nous arrivions à la phase de transpiration ! Vous êtes prêt ?
A vous de jouer !
Concrètement, qu’est-ce que c’est, « relire ses chansons » ?
Lire avec les oreilles.
Relire ses chansons, cela se fait avec les yeux, mais surtout… avec les oreilles ! Nous sommes dans un art auditif, et non pas dans la littérature. N’est pas Art Mineur qui veut !
Sur quelles bases va-t-on relire les chansons ?
Reprenons les fondamentaux : une chanson, c’est TROIS choses :
- Un texte
- Une mélodie
- Une cohésion harmonieuse entre les deux.
Chacun de ces trois points doit fonctionner. Lorsqu’on parle de « relecture », il s’agit donc non seulement du texte, mais aussi de la mélodie et de la cohésion globale.
Quand relire ses chansons ?
La relecture se fait à froid, lorsqu’on a déjà un peu « oublié » sa phase de création. Un peu comme si vous étiez une autre personne que celle qui a écrit.
Pour une fois, vous avez le droit de remettre au lendemain !
Relisez le texte, impitoyablement. Lorsque je dis « relire », cela implique de relire les trois aspects de la chanson : texte, mélodie, et cohésion.
Concrètement, comment procéder ?
Il vous faudra noter sans délai absolument tout ce qui vous semble poser problème, quitte à vous en accommoder parfois au final.
Je le répète :
- Notez sans délai, car très vite votre oreille va se réhabituer à certaines « fautes » et les laisser passer ensuite.
- Notez tout, car on oublie quasiment en temps réel ce qui achoppe au fil de l’écoute, et on a du mal à se le remémorer par la suite. Je vous donnerai plus loin une astuce pour ne rien oublier en route sans s’interrompre.
Faites-le en trois temps
Etape 1 : Le texte
La relecture du texte ne doit pas se contenter d’être visuelle : elle doit être orale, c’est-à-dire à voix haute.
Traquez sans état d’âme :
Dans la forme :
- les fautes de français.
- les répétitions involontaires
- les lourdeurs phonologiques (assonances, « e » muets…)
- les lourdeurs stylistiques (niveau de langage)
Dans le fond :
- les incohérences
- les longueurs ou redites involontaires
Etape 2 : La mélodie (si celle-ci est déjà avancée)
La relecture de la mélodie se fait soit avec les paroles, soit en « yaourt » si celles-ci sont inachevées. On vérifie :
- la fluidité des lignes mélodiques
- l’enchaînement harmonieux de la progression des accords (ou progression harmonique)
- la cohérence de l’ensemble, et on note d’éventuels accrocs.
Dans cette phase, pas de meilleure alliée que notre propre oreille. Et pas besoin d’être « musicien » pour cela, au contraire !
Notez « à chaud » tous les points qui achoppent, avant que votre oreille ne s’y habitue. C’est très important, et vous fera gagner du temps.
Etape 3 : Pour l’ensemble
- la durée totale supposée de la chanson : vous verrez qu’il sera très difficile de ne pas dépasser les 3’30 ! Cela vous amènera à faire des coupes dans vos paroles.
- traquez les moments où l’ennui s’installe
- mettez en place une montée dramatique (voir l’article à paraitre à ce sujet)
- s’il y a un pont, vérifiez sa pertinence et son positionnement.
Préparez la suite
C’est ici que je vous donne l’astuce dont je parlais plus haut.
A ce point de votre travail, je vous conseille d’enregistrer de nouveau votre travail. C’est votre « point de situation » en vue des prochaines relectures.
Car oui, il y en aura d’autres !
Lors de ces nouvelles relectures, vous pourrez ainsi avoir davantage de distance en vous positionnant comme simple auditeur, et donc mieux repérer les éléments à modifier pour vos versions suivantes.
Lorsque vous réécouterez votre enregistrement, faites-le sans interrompre la lecture du fichier.
Pour cela, notez simplement les minutages où vous avez remarqué un problème : par exemple : « 1’22 ; 2’34, etc. ».
Dans un second temps, « relisez la relecture » en notant ce qu’il convenait de modifier : par exemple : « 1’22 : une syllabe difficile à prononcer ».
Enfin, faites vos modifications.
Certaines, toutes simples, se feront quasiment toutes seules pour un résultat spectaculaire.
D’autres vous demanderont plus de travail. Il vous faudra parfois « démonter » toute une partie de la chanson pour solutionner une rime malheureuse.
Pour d’autres enfin, vous ne trouverez pas de solution. C’est la vie, et il faudra vous en accommoder.
Ce qui nous amène à la dernière partie
Savoir finir
Ce n’est qu’après plusieurs relectures et corrections qu’il vous faudra finaliser votre chanson. La fixer.
Finaliser sa chanson n’est pas si facile : c’est un deuil autant qu’une naissance. Il faut savoir que, quel que soit le moment où vous déciderez que votre chanson est terminée, il vous restera sans doute des regrets. C’est une étape très importante, et assez difficile.
Laissez-moi vous parler de Henri, excellent compositeur avec qui j’ai travaillé il y a pas mal d’années. Henri avait une particularité : il peaufinait et modifiait sans relâche les morceaux d’une répétition à l’autre. Bref, il « relisait » trop. Il en était même arrivé à la 24ème version d’une de ses chansons ! Autant dire qu’entre la version 1 et la version 24, il y avait de quoi faire deux ou trois chansons différentes.
Résultat ? Nous n’avons jamais fait le moindre concert !
C’est hélas une histoire vraie.
Soyez donc efficace et pragmatique : lorsqu’il vous semble que les modifications n’apportent plus rien de fondamental, c’est qu’il est temps de passer à la chanson suivante.
Et surtout, présentez vite votre œuvre : le bon accueil de vos auditeurs sera la meilleure des validations !
Et le coin de nappe dans tout ça ?
Peut-être qu’au final vous ne changerez rien : il arrive parfois que certains premiers jets soient les bons : c’est déstabilisant mais cela existe. Ne boudez pas ce cadeau du destin : si la magie opère, accueillez-la !
L’intervention de l’entourage
Tous les grands auteurs ont d’excellents conseillers : leur entourage proche.
Avant même d’être votre premier public, vos proches sont aussi là pour vous faire des retours lors de vos points de situation.
Vous pouvez, sans en abuser de leur disponibilité, leur soumettre vos brouillons pour recueillir leur sentiment…
Mais n’oubliez pas que
- ils ne sont pas des experts
- ils ne sont pas dans votre tête
- ils n’ont qu’un accès à la fois global (ils ne maîtrisent pas tout votre cheminement) et partiel (ils n’entendent pas les parties instrumentales que vous avez dans l’oreille) à votre œuvre.
Donc, il conviendra de ne pas prendre au pied de la lettre ce qu’ils vous diront.
Et de ne pas vous braquer si certaines critiques vous semblent injustes.
Même si vous vous nourrissez de leur retour, n’oubliez pas que l’artiste, c’est vous.
Pour les rebelles
A ceux qui assument de ne pas relire leurs chansons, ou qui plus simplement négligent cette étape, je recommande la jubilatoire lecture de « L’anthologie des bourdes de la chanson française », où l’auteur réunit et commente avec humour de nombreuses erreurs qui ont trompé la vigilance de célébrités, comme Johnny Hallyday « c’était fin août, début juillet » sur la face B de « Requiem pour un fou »
ou Gilbert Montagné qui veut vivre « sous l’équateur du Brésil, entre Cuba et Manille» dans « viens danser ».
Mais qui sait ? Peut-être les plus réfractaires d’entre vous auront un jour l’honneur d’y figurer ?
En conclusion
Se relire attentivement, se faire relire par l’entourage est essentiel avant d’offrir son œuvre au public : au-delà même des imperfections qu’on ne détecte qu’avec le temps, certaines « vraies » fautes peuvent tromper votre vigilance. Tous les grands auteurs, en dépit d’une apparente facilité, se relisent beaucoup.
L’Académie de la Chanson est là pour vous accompagner dans ce travail. Vous y trouverez des clés pour vous exprimer avec plus de force et de fluidité.
Bonnes relectures, et Vive la Chanson !
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Salut Denis, j’ai trouvé ton article sur la relecture des chansons très instructif. En tant qu’artiste crypto, je comprends l’importance de la relecture et de la révision dans le processus de création. Que ce soit pour une chanson ou une œuvre d’art numérique, chaque détail compte. J’aime particulièrement ton conseil sur la relecture à voix haute et l’importance de prendre du recul. En ce moment je tente de lire l’anglais à voix haute pour améliorer ma prononciation car je compte faire des interviews en anglais. Et niveau clôture, je suis aussi d’accord, j’ai tendance à être comme Henri sur certaines création et en plus de prendre bcp de temps ca crée pas mal de complications (genre la version 18 était finalement bcp mieux que la 27 🙂 Je vais essayer d’appliquer ces conseils à mon propre processus de création. Bonne continuation et merci pour tes conseils !
Bonjour François, merci pour ce commentaire très intéressant ! C’est vrai que certaines règles peuvent s’appliquer à d’autres disciplines artistiques. Concernant le moment où il faut savoir mettre un point final à l’oeuvre, je citerai Claude Lemesle lors d’un atelier d’écriture auquel j’avais eu l’honneur de participer. Nous y parlions des brouillons, des petits détails que l’on améliore à chaque relecture. A un élève qui lui demandait s’il lui restait des regrets à propos de « La bête immonde », il avait simplement répondu : « Moi, en tout cas, je n’aurais pas pu faire mieux ».
Wow, quelle ode à la créativité toutes ces astuces!! Ça me donne l’envie d’aborder autrement mon travail d’auteure d’articles
Merci pour ce partage inspirant !
Bonjour Line, merci pour ce sympathique commentaire ! Je suis ravi de voir que nos articles peuvent intéresser des créateurs dans d’autres domaines que celui de la chanson ! Merci pour tes encouragements, et bravo pour ton blog !