En 1980, Alain Souchon crée la surprise avec sa nouvelle chanson : c’est un canon ! Une forme de musique rarissime en chanson de variété ! Tout de suite, ce titre s’impose comme un tube. « Rame » donnera son titre à l’album, et sera reprise à chacune des tournées de l’artiste !
Mais d’abord, les paroles !
Les paroles de «Rame» de Alain Souchon
COUPLET 1
Pagaie, pas gai
Sur cette vieille Loire
Pagaie, pas gai
T’arriveras nulle part
Héron, héron
Là-haut, guetteur
Vois-tu, vois-tu ailleurs ?
COUPLET 2
Bout d’bois, bout d’bois
Beau caoutchouc
Flotte-moi, flotte-moi
Plus loin qu’chez nous
Baignoire, baignoire
Tu m’as menti
Ailleurs, ailleurs c’est comme ici.
REFRAIN
Rame, rame, rameurs, ramez
On n’avance à rien dans c’canoë
Là-haut, on t’mène en bateau
Tu pourras jamais tout quitter, t’en aller
Tais-toi et rame !
COUPLET 3
J’m’en vais, mais l’eau est lasse
Chaumont, Langeais
À peine Amboise
Amour, cordon
Ficelle serrée
Lâchez, lâchez, j’veux m’en aller
REFRAIN ad lib.
Carte d’identité de la chanson
« Rame » est le titre phare (c’est le cas de le dire) de l’album du même nom, sorti en 1980.
Auteur : Alain Souchon
Compositeur : Laurent Voulzy
Pour écouter, c’est ici : « Rame » de Alain Souchon
L’histoire de « Rame » de Alain Souchon
Une sortie tardive
Ce titre a été écrit et produit en 1977, mais n’est sorti qu’en …1980 !
Pourtant, entretemps, Souchon a sorti un autre album : « Toto 30 ans, rien qu’du malheur » (en 1978) ! Bizarre, non ? D’autant plus qu’on trouve dans « Toto » des titres enregistrés plus tard que « Rame », comme par exemple « L’amour en fuite », enregistré en 1978 !
Que s’est-il passé ? Pourquoi donc avoir tant attendu ?
La rame : une arme fatale
Et bien Alain Souchon a eu un problème de riche : son album « Toto », en préparation, regorgeait déjà de tubes !
En bon gestionnaire, il a donc patiemment attendu 3 ans avant de dégainer son arme fatale : la « Rame », qui a donné son titre au nouvel album !
« Rame » : un titre phare
C’est ainsi que « Rame » est devenu un des titres majeurs du répertoire de cet artiste… et même de la chanson française ! Souchon en a réenregistré des versions live dans plusieurs albums : Alain Souchon en public (1981), Olympia 83 (1983), Défoule sentimentale (1995), Alain Souchon est chanteur (2010), Âme fifty-fifties (2020).
« Rame » a également été repris par de grands artistes : dans cette version des enfoirés (avec du beau monde !) on comprend bien comment le canon se développe.
Ne manquez pas non plus ce petit diamant de 52 secondes avec Jeanne Cherhal !
Bal(l)ade sur l’eau
Ce n’est pas la première fois que Souchon nous emmène sur l’eau. Il faut dire que, entre Quiberon et La Trinité sur mer, Voulzy et lui sont des amoureux de la Bretagne et des métaphores aquatiques : dans l’album précédent, dont nous parlions juste avant, Souchon nous faisait rêver avec « Le bagad de Lann Bihoué ». Voulzy, lui, nous emmenait à « Belle-île en mer, Marie Galante ».
Cette fois-ci, c’est sur la Loire que coule son filet de voix.
Le texte
Souchon comme à son habitude, délivre un texte minimaliste et désabusé, où chaque mot est une image qui symbolise un concept.
Couplets 1 et 2
Pagaie pas gai : dès les premiers (jeux de) mots, l’ambiance est posée : il ne se passe rien.
On s’ennuie ferme en navigant sur le plus long et lent cours d’eau de France.
Et on ne va nulle part.
Même le héron (et rond comme on tourne en rond) ne voit rien à l’horizon.
Bout d’bois et « beau » caoutchouc : voici de quoi notre embarcation, notre vie, est faite. Car c’est bien de nos vies que parle Souchon. De nos vies insipides, vides de sens, sans but, où l’on se satisfait de plaisirs dérisoires : le beau caoutchouc, ou la « baignoire » dont on imagine qu’elle va nous emmener vers un ailleurs qui n’existe pas.
Refrain
Sur une cadence de galère romaine, Souchon nous enjoint à ramer.
Agrémenté de quelques jeux de mots qui soulignent le marché de dupes dont nous sommes victimes, le refrain tient bien son rôle en donnant le thème de la chanson :
On n’avance à rien dans ce canoë (dans ce canoë : dans ce cas, « no way »).
On est « mené en bateau » depuis « là-haut », et nos efforts, répétitifs comme autant de coups de rame, sont vains.
Souchon finit sur « Tais-toi et rame ! ».
Ce dernier « rame » est très important : il conclut le refrain comme il l’avait ouvert. Même mot, même note, en suspension… J’y reviendrai.
Couplet 3
Suivons l’itinéraire : Chaumont (sur Loire), Langeais… on n’a guère avancé (à peine 60 Km) : on est englué dans la France profonde, au beau milieu de la Loire, loin de la source et loin de l’océan. Bref loin de tout, même si on a pu (à peine) effleurer la magie d’Amboise, son château royal et la résidence de Léonard de Vinci… un monde qui n’est pas pour nous.
Quant à l’amour, il est présenté comme un frein à la liberté, une amarre dont on ne veut pas.
La musique
Les couplets de « Rame »
Très statiques, les couplets tournent sur deux notes répétitives.
Ils illustrent ainsi l’immobilité du bateau de notre vie, qui est pourtant censé être un « mobilis in mobile ».
C’est un bon exemple d’une musique qui appuie les paroles sans verser dans l’excès.
Le refrain
La galère
Le refrain arrive comme une cadence de galère. Souchon y joue le rôle de l’hortator, ce chef de galère qui bat la cadence, au rythme du mot « Rame ».
Remarque pour les musiciens : ce refrain tourne (malgré quelques petits écarts) sur un anatole de 4 accords : la fa#m mi la (« A f# E A » pour les anglo-saxons).
Pour lire l’article sur les anatoles, cliquez ici.
L’ambiance n’est pas sans évoquer la « Chanson de pirates » de Claude Nougaro (1980) sur un texte de Victor Hugo et une musique de Maurice Vander.
https://www.youtube.com/watch?v=4wZ0zaLT1mw
Posez votre rame ici
C’est de nouveau sur ce « Rame » que Souchon termine le refrain. C’est LE moment important de la chanson : il boucle la boucle, préparant ce qui sera le canon du refrain final.
Car cette dernière « rame » est posée comme une charnière, à la fois au début et à la fin du refrain : même mesure, même temps, même note (un « la »).
Mais voilà : Souchon ne pose pas sa « rame » sur l’accord fondamental de « la majeur » comme attendu. Non, il la pose un ton plus bas, sur un « sol majeur ». Cela crée la suspension (un « sus2 ») dont je parlais plus haut, cette attente irrésolue, ce goût d’inachevé qui va relancer le couplet suivant.
On embarque !
Et au deuxième refrain, ce n’est plus la suspension qui arrive, mais le canon !
Et là, on est embarqué, au propre comme au figuré !
Cela illustre parfaitement le propos du texte, cette navigation vaine où tout le monde suit le mouvement sans aller nulle part.
Du pur génie ! Et en plus c’est beau !
A vous de jouer !
Dans son canon, Souchon nous fait ramer dans un refrain qui se mord la queue.
Je vous propose de trouver à votre tour un thème de chanson qui se prêterait à un canon.
Cherchez un thème de texte qui tourne en boucle, qui nous ramène au début. Piochez-le dans la vie courante.
Par exemple : une chaîne de montage, le cycle de la consommation, etc..
Bref : un thème « circulaire ».
Et surtout : n’oubliez pas de l’indiquer en commentaire !
Pour aller plus loin
Puisque vous avez trouvé un thème, vous pouvez même inventer la musique qui va avec ! Oui, oui ! Vous pouvez créer votre propre canon : pour cela je vous invite à vous rendre sur cet article consacré aux canons.
Je vous y dis tout sur la façon de composer votre propre canon.
Vous verrez, c’est facile et je vous donne la recette ! Rendez-vous à l’article
D’ici-là, ne ramez pas trop, et
Vive la Chanson !
Je ne connaissais pas du tout cette chanson. Je ne suis pas très calée en matière musicale, pour ne pas dire pas du tout, alors j’hallucine littéralement devoir tout ce que tu sais.
Ce qui est formidable avec la chanson, c’est qu’il n’y a pas besoin d’être « musicien » pour l’apprécier à sa juste valeur. C’est avant tout les mots, l’émotion, une sensation diffuse… Et même s’il y a parfois quelques « recettes », c’est la sincérité qui prime !
Merci pour cet article qui replonge dans cette chanson tant écoutée et ses dessous 😃
Merci Olivia pour ce commentaire ! Les chansons que nous écoutons l’air de rien sont souvent de petits chefs d’oeuvres. On prend trop rarement le temps de les apprécier à leur juste valeur !
J’adore découvrir des nouvelles chansons, je viens de l’écouter sur Spotify ; ) Merci !
Merci pour ton commentaire ! Je t’invite à découvrir « Foule sentimentale » en espagnol :
https://www.youtube.com/watch?v=83z-qoDLNes
https://www.dailymotion.com/video/x66sk6
Super, je viens de l’écouter. Merci !
Je trouve ça super que tu aies décrypté cette chanson de A à Z. Il se cache souvent des subtilités, des anecdotes, que les néophytes (dont je fais partie) ne perçoivent pas. Ça vaut le coup de ne pas rester en surface et d’aller en comprendre le sens profond. On découvre une autre dimension ! En tout cas, j’en aurai appris un peu plus sur ce titre d’Alain Souchon, merci !
Quand on est dans un canoë, mieux vaut pourtant rester en surface et ne pas aller trop profond ! Merci pour ce commentaire sympathique !
C’est Steve Jobs qui disait qu’il n’y a rien de plus complexe et difficile que la simplicité. C’est exactement ce que m’inspire cette chanson d’Alain Souchon. Rien que lire les premiers mots et j’avais la mélodie en tête Merci de nous en faire découvrir les dessous et nous éveiller sur les tenants musicaux à des personnes qui adorent la musique et qui sont ravies d’apprendre.
Merci Line pour ce gentil commentaire. C’est vrai : la recherche de la simplicité est une quête universelle ! Particulièrement en chanson, art volatile et presque clandestin qui ne dispose que quelques instants pour nous toucher !
Je ne connaissais pas cette chanson. Belle découverte merci.
J’adore ce format d’analyse de chanson. J’ai l’impression de revenir au lycée, en Français, dans l’analyse de texte. Ce format « d’analyse de chanson » permet de bien comprendre tout le contenu de la chanson et d’avoir un œil nouveau.
Inspirant, merci !
Merci pour ton commentaire ! Les chansons les plus anodines se révèlent souvent être de petits chefs d’oeuvres, même s’ils sont modestes et éphémères.
Merci Denis pour avoir décrypté cette chanson, je l’ai entendu il y a longtemps. Je trouve ça toujours intéressant de connaître l’histoire de ces classiques. Bravo pour la remise en contexte J’aime bien la rédaction pimentée de jeux de mots.
Confidence pour confidence (comme dirait Schultheis) j’adore moi aussi, comme un chercheur d’or, aller débusquer ce qui se cache derrière ces chansons que nous fredonnons sans même y penser. On découvre parfois des choses inattendues !
J’aime beaucoup Souchon. Rame n’est pas ma chanson préférée (je lui préfère foule sentimentale !). Mais je n’avais jamais vraiment prêté attention aux paroles. Je vais voir cette chanson d’un autre œil maintenant !
Merci Pauline ! « Foule sentimentale » fera sans doute l’objet d’un prochain article : c’est une chanson qui a plusieurs caractéristiques très intéressantes.