11 juin 2024. L’icône pop de la chanson française nous a quittés. Elle laisse une œuvre rare et belle, mais aussi et surtout une certaine image de l’élégance à la française.
Comment lui dire adieu ? En réécoutant un de ses plus grands succès : « Comment te dire adieu » !
Les paroles de « comment te dire adieu » de Françoise Hardy
COUPLET 1
Sous aucun prétex-
Te, je ne veux
Avoir de réflex-
Es malheureux
Il faut que tu m’ex-
Pliques un peu mieux
Comment te dire adieu
COUPLET 2
Mon cœur de silex
Vite prend feu
Ton cœur de pyrex
Résiste au feu
Je suis bien perplexe
Je ne veux
Me résoudre aux adieux
REFRAIN 1
Je sais bien qu’un ex-
Amour n’a pas de chance, ou si peu
Mais pour moi une ex-
Plication vaudrait mieux
COUPLET 3
Sous aucun prétex-
Te je ne veux
Devant toi surex-
Poser mes yeux
Derrière un kleenex
Je saurais mieux
Comment te dire adieu
Comment te dire adieu
REFRAIN 2
Tu as mis à l’index
Nos nuits blanches, nos matins gris-bleu
Mais pour moi une ex-
Plication vaudrait mieux
COUPLET 4
Sous aucun prétex-
Te je ne veux
Devant toi surex-
Poser mes yeux
Derrière un kleenex
Je saurais mieux
Comment te dire adieu (x3)
Carte d’identité de la chanson « Comment te dire adieu » de Françoise Hardy
Sortie : novembre 1968
Auteur : Serge Gainsbourg
Compositeurs : Arnold Goland – Jack Gold
Titre original : « It hurts to say goodbye »
L’histoire de « Comment te dire adieu » de Françoise Hardy
1968, année révolutionnaire
1968, c’est l’année des évènements qui vont révolutionner la vie des français.
C’est également une année intense pour Françoise Hardy :
En janvier, après avoir fait des apparitions à la télévision en Allemagne, en Espagne, en Autriche, en Belgique et en Suisse, Françoise Hardy signe un contrat chez Warner-Brothers/Reprise Records. Elle part dès février au Québec, puis en Angleterre pour une tournée de promotion. Ceci ponctué par des promotions radio et télévision de son premier single.
Elle enchaine avec une tournée d’un mois en Afrique du sud, puis de nouveau Londres et enfin le Congo…
Dans le même temps, Paco Rabanne lui fait porter sa fameuse robe métallique iconique.
Le mois de mai approche avec son agitation, c’est le moment de marquer une brève pause dans les tournées.
Françoise Hardy part se mettre au vert en Corse avec Jacques Dutronc.
A son retour, il est temps de préparer de nouvelles chansons, et surtout un nouvel album !
Le temps des yéyés
Ici il faut préciser comment ça se passait à l’époque : c’est le temps des « yéyés ». Une époque où les chanteurs français, malgré leurs airs de bons copains, se livraient à une course effrénée pour dénicher des tubes outre-manche, voire outre-atlantique. Ils en faisaient vite écrire des versions françaises par leurs paroliers, et s’empressaient de les sortir en France les premiers, en étant quasiment assurés de leur succès.
Cela a donné quelques épisodes cocasses, où l’on a vu par exemple Sacha Distel et Richard Anthony sortir la même chanson (« accroche un ruban » et « attache un ruban au cerisier »), sur la même musique, à quelques jours d’intervalle ! Toute une époque !
C’est comme ça que Françoise Hardy met la main sur « It hurts to say goodbye », qui deviendra « Comment te dire adieu » .
Un sacrée bonne inspiration, puisque ce titre deviendra son plus gros tube !
La version originale de « Comment te dire adieu »
Au départ, il y a deux chanteuses : une britannique, Véra Lynn, et une américaine, Margaret Whiting.
Toutes deux interprètent en 1966 et 1967 « It hurts to say goodbye », une jolie chanson d’amour sur une belle mélodie assez classique, co-signée Arnold Goland et Jack Gold.
Cliquez sur les images pour les découvrir.
Mais c’est une version bien plus moderne, réinterprétée par les auteurs-compositeurs eux-mêmes, que Françoise Hardy repère chez un éditeur : il s’agit d’une version au style instrumental haché qui colle bien avec le thème de la chanson : les adieux difficiles.
Cliquez ici pour entendre la version choisie par Françoise Hardy
François Hardy veut absolument chanter cette chanson, dans cette version pop.
Pas question ici de rééditer la version calamiteuse de Ginette Reno, sortie quelques mois plus tôt !
Un auteur à la (h)auteur
Seulement voilà, il va falloir trouver un auteur. Françoise, autrice elle-même, ne se sent pas à l’aise. Pas plus que Lionel Roc, son auteur qui est aussi son agent.
Ce dernier lui propose donc de faire appel à un certain Serge Gainsbourg. Et là, bingo ! Gainsbourg, qui vient de se faire quitter par Bardot après « cent jours d’amour fou », a justement le cœur brisé. Oserait-on dire que ça tombe bien ?
La recette de « Comment te dire adieu » de Françoise Hardy
Les paroles
Gainsbourg a choisi de rédiger ce texte de rupture sous forme… de ruptures !
Une mise en abyme
C’est ainsi que, (à l’instar d’un pêcheur) Gainsbourg décide de couper les vers.
Il les coupe au milieu d’un mot, comme autant de tranches de vie interrompues par cette rupture.
Une véritable mise en abyme du propos.
Une rime obsédante
Mais ce n’est pas tout : tout au long du texte, on retrouve la rime obstinée « EX », obsédante, comme cet(te) ex que l’on tente en vain de chasser mais qui revient sans cesse, tapi.e au cœur de chaque mot.
– soit en rime ordinaire : « silex », « perplexe », « index », etc.
– soit en coupant un mot : « prétex-te », « surex-poser », « ex-plication », etc.
La mode, toujours la mode
Enfin et comme toujours, Gainsbourg n’oublie pas d’insérer dans son texte des noms propres en vogue : « Pyrex », Kleenex ». On est Gainsbourg ou pas !
Gainsbourg et Brigitte Bardot
On voit clairement que Gainsbourg écrit ce texte pour Brigitte Bardot, faisant notamment référence à l’infidélité (cœur de silex), à la violence latente (réflexes malheureux), à la fierté (devant toi surex..), et bien sûr aux « matins gris-bleu », à la couleur des fameuses et fumeuses Gitanes qui ont accompagné leur relation.
La musique :
Une mise en abyme
Là encore, la rupture est littéralement mise en abyme, puisque dans cette version revisitée par les compositeurs eux-mêmes, chaque note est tranchée, isolée des autres, comme autant d’instants de solitude.
Des refrains parlés
Autre nouveauté par rapport à l’original : les refrains seront intégralement parlés et non chantés. Et cela va leur donner une véritable intériorité.
Un duo voix-saxo
Particularité qui donne tout son sel à cette chanson : on a conservé, superposées à la voix, les notes brèves de saxophone qui doublent la mélodie. Résultat : un effet sonore unique, qui renforce la sensation d’isolement.
Le point fort de la chanson
Prises individuellement, les paroles et la musique sont déjà géniales. Mais ce n’est pas tout !
Le triangle magique
Il y a une cohésion parfaite entre les trois pôles de ce triangle magique :
Les paroles, la musique, et le propos de la chanson.
Chaque mot, chaque note, à chaque instant, nous ramène au thème, tout en gardant la légèreté d’une chanson pop. C’est comme ça que l’on construit un tube planétaire… et une légende !
Les autres versions de « Comment te dire adieu »
A travers le monde, de nombreuses versions ont été enregistrées, dans les langues les plus inattendues. Je vous invite à aller les découvrir sur cette page.
Cliquez ici pour découvrir toutes les versions de « Comment te dire adieu »
A vous de jouer :
Votre mission : aller chercher une rime en « ex » et la cacher au milieu d’un mot.
Autrement dit, dénichez un mot qui contient « ex » (comme « surex-position » par exemple) et coupez-le au milieu pour faire apparaître la rime.
Evidemment, dans ce petit jeu, le dictionnaire de rimes ne sera d’aucun secours ! Pour trouver des rimes, allez plutôt découvrir ICI la technique ABC.
Inscrivez votre découverte en commentaire !
Pour aller plus loin :
Dans votre prochaine chanson, autorisez-vous les rimes au milieu des mots ! Tranchez dans le vif, créez l’effet de déséquilibre ou de relance. Cela tonifie la chanson et crée un effet de surprise. Vous pouvez même, comme le fait Gainsbourg (ou Verlaine avant lui) en user et en abuser. Cela empêchera votre chanson de ronronner, et maintiendra votre auditoire en haleine.
Pour savoir comment procéder, je vous invite à lire l’article « Trouvez des bonnes rimes, la technique de l’alphabet » qui vous donnera une méthode efficace.
En conclusion
Certaines artistes, certaines chansons traversent le temps sans prendre une ride. C’est le cas de Françoise Hardy, et de « Comment te dire adieu » qui, en pleine période révolutionnaire, a été une révolution dans la chanson française.
Un demi-siècle plus tard, cette artiste incarne toujours l’élégance, et sa chanson garde sa fraîcheur et sa modernité. C’est ce qu’on appelle un chef d’œuvre, non ?
A vous de prendre la relève, et
Vive la Chanson !
Super intéressant, merci pour ton regard aiguisé sur l’analyse de l’écriture de cette chanson 🙂
Merci pour ton commentaire ! Chaque chanson a sa propre histoire, et met en place sa propre technique. Les décrypter est un peu comme une enquête policière… j’adore ! 🙂
Merci pour la redécouverte de ce titre avec ton œil d’expert. Vraiment intéressant l’approche avec la rime en ex et les coupures au milieu des mots.
Merci pour ton commentaire. Techniquement, les textes de Gainsbourg, qui sont souvent de véritables exercices de style, ont beaucoup à nous apprendre.
Très bel article, merci pour ces infos enrichissantes sur cette chanson tant fredonnée. Françoise Hardy nous a quitté, mais toutes ses chansons nous accompagneront encore longtemps. J’ai parcouru ton article avec grand plaisir, merci.
Pascal – Être & Croître
Merci pour ce retour. Françoise Hardy a toujours été très sobre dans sa façon d’interpréter. En cela, elle se met vraiment au service des chansons, qu’elle sublime littéralement. Et le plus incroyable, c’est que loin de la mettre au second plan en tant qu’interprète, cela lui confère un style unique. Un régal !
Merci pour cet article sur cette chanson et sur cette artiste formidable qui restera dans toujours dans nos coeurs. RIP
Françoise Hardy a réussi l’exploit d’être à la fois discrète et omniprésente, dans la vie comme dans son art. C’est ce qui la rend si attachante.
J’ai toujours aimé Françoise Hardy, sa sensibilité, son style et ses chansons. J’adorais l’émission âge tendre et tête de bois d’Albert Raisner. Merci d’avoir partagé tes connaissance sur Françoise Hardy. J’ignorais qu’il y avait autant d’histoires derrière cette chanson.
Ouah ! Âge tendre et tête de bois, voilà qui nous fait remonter le temps avec bonheur et nostalgie ! Merci pour cette belle référence à cette époque où l’insouciance était encore de mise !
Quand on lit le texte, les rimes sont assez surprenantes et le choix des mots est plutôt rare ce que range cette chanson complètement en dehors des ouvres «habituels» et bien «ennuyeuses» qu’on peut voir aujourd’hui dans l’estrade.
Je la trouve encore plus jolie avec cette voix absolument magnifique de la chanteuse. Sa performance de la version française et également allemande ajoute énormément de charme par rapport à l’original. Peut être, cela rendre la chanson plus légère sur le sens, mais pas sur les émotions, car au lieu d’obtenir la sensation lourde, elle augmente l’humeur et s’accroche dans la tête. Ce qui est plutôt un atout pour pouvoir prendre ça place parmi des hits. Merci beaucoup pour cette jolie et très originale découverte laquelle donne l’envie de réécouter au nouveau !
Merci Oxana pour ce commentaire très documenté. Cette chanson existe en effet dans de nombreuses langues, dont plusieurs versions enregistrées par Françoise Hardy elle-même.
Merci Denis, pour cet excellent article en hommage à cette fabuleuse chanteuse. J’aimais beaucoup ces chansons (génération de mes parents) et suis admiratif du succès de son fils.
Merci Bertrand pour ton commentaire. Mon enfance a été bercée par le vieux 45tours de mon (très) grand frère « Tous les garçons et les filles », une des premières chansons que j’ai su jouer à la guitare… Un tube intemporel et magnifique !