Pourquoi de nombreuses chansons sont-elles lourdes et pesantes, alors qu’objectivement elles sont bien écrites ?
Et bien la réponse est simple : la plupart des auteurs confondent littérature, poésie et chanson, ils confondent langue écrite, langue orale et langue parlée.
Je vous donne les clés ici.
Je vous préviens : cet article est un peu théorique, mais il est court et facile à lire
Il vous permettra de bien construire vos chansons sans vous fourvoyer. Accessoirement, il vous permettra aussi de comprendre pourquoi certaines chansons ne « fonctionnent » pas.
C’est parti !
La littérature : langue écrite
Ce qu’on nomme couramment « la littérature », ce sont les livres. Romans, nouvelles, essais, tout ceci appartient à la langue écrite. Ces textes ont été créés pour la lecture silencieuse. Et même si des « lectures » à voix haute sont régulièrement proposées dans des émissions ou des rencontres, cette forme d’interprétation n’est pas naturelle.
Là où cela vire à la catastrophe, c’est quand les auteurs eux-mêmes lisent leurs œuvres à voix haute ! Jean Echenoz en parle fort bien au début de cette interview :
Et là on se rend bien compte que ces textes, si somptueux qu’ils soient, ne sont pas faits pour être interprétés à l’oral : ils n’ont pas été pensés dans cet esprit.
La poésie : langue orale
C’est ici que commence la confusion !
Bien qu’elle se présente sous une forme écrite, la poésie n’appartient pas à la langue écrite.
Non : c’est de la langue orale !
A l’exception de la « poésie visuelle » décrite ici sur Wikipedia, les textes poétiques sont conçus pour être dits à voix haute.
Le son et le rythme des mots y sont des vecteurs d’émotion que la lecture silencieuse seule ne saurait transmettre.
C’est d’ailleurs comme cela que travaillent les poètes « actifs » : en créant leurs textes à voix haute, à l’instar de Samantha Barendson, co-créatrice du « syndicat des poètes qui vont mourir un jour ».
Je vous invite à découvrir ses oeuvres aux éditions du chat polaire en cliquant ici .
Mais alors, pourquoi trouve-t-on la poésie dans des livres ? Pour deux raisons simples :
1) Pour la stocker, tout simplement, de la même façon qu’on écrit la musique sur une partition.
2) Pour permettre à chacun de l’interpréter à sa façon : la poésie est un art vivant, et elle n’est pas destinée au départ à l’enregistrement sonore.
La chanson : langue parlée
La chanson quant à elle n’est pas seulement de la langue orale : c’est de la langue parlée.
Les mots qu’elle emploie, tout comme les thèmes qu’elle aborde, font partie du champ lexical oral quotidien de l’auditeur, et sont souvent des marqueurs de son époque.
Ici, pas de formules alambiquées, pas d’effets de style ni de mots sophistiqués : le langage est direct, simple, et même : ordinaire !
Ceci n’exclut pas une forme de poésie, mais celle-ci s’exprime davantage par des images que par des formules, tout comme dans une conversation entre deux amis.
A cela s’ajoutent deux particularités importantes :
1) la répétition
2) la cohérence entre les paroles et la musique, deux éléments qui sont indissociables.
Un grand classique comique (un peu facile) consiste d’ailleurs à se moquer de la soi-disant « pauvreté » des chansons célèbres en les privant de leur musique.
La grande confusion
C’est ici que se trouve l’explication de notre problématique :
L’immense majorité des auteurs de chanson négligent cet aspect « langue parlée ». Croyant écrire un texte de chanson, ils écrivent souvent de la « poésie » (en octosyllabe la plupart du temps), quand ils ne font pas carrément de la « littérature », c’est-à-dire un texte qui se lit bien mais n’a aucun intérêt à l’oral.
Comme illustration de ce ratage, on peut citer (entre autres) Michel Houellebec qui a écrit tout un album pour Jean-Louis Aubert.
…et on voit bien que, malgré une grande qualité d’écriture, cela ne fonctionne pas.
On pourrait également citer le « pas gaie la pagaïe » chanté par Maurane, formule rigolote à l’écrit, mais qui ne ressemble à rien à l’oral…
Finissons avec une exception : Georges Brassens, qui excellait dans le style « récitatif » au point de se risquer à mettre en musique des poèmes de Victor Hugo.
A vous de jouer !
Alors, comment éviter cet écueil ? C’est assez simple :
Lorsque vous écrivez un texte de chanson, chantez-le ! Vous verrez que les mots s’organiseront de façon « audible » et « sonore ».
Vous n’avez pas de musique ? Dites vos mots à voix haute.
Vous pouvez même vous appuyer sur une musique connue pour créer « oralement » votre texte : Vous pourrez ensuite le confier à un compositeur (sans lui préciser votre méthode) qui disposera ainsi d’une base rythmiquement cohérente pour s’exprimer.
Et surtout, utilisez le vocabulaire du quotidien, simple et imagé. Avec des mots qui « sonnent ».
Et bien sûr, respectez la technique des « paniers » (en cliquant sur ce lien) de l’Académie de la Chanson.
Conclusion
La plus grosse erreur que peut faire un auteur de chanson, c’est de produire de la littérature !
Sans aller jusqu’à Aya Nakamura dont on ne peut pas dire qu’elle soit la meilleure ambassadrice de la langue française, il faut toujours garder à l’esprit que la chanson, c’est de la langue parlée !
Vivent toutes les langues françaises, et
Vive la chanson !
J’adore. ♥️
C’est vrai, quand on commence à compliquer les choses avec des mots trop pompeux, ça finit par perdre en fluidité.
C’est comme si on essayait de lire Victor Hugo en rap – ça casse le rythme !
Bref, merci pour ces conseils, ça donne vraiment envie de revoir l’écriture des chansons sous un angle plus simple et naturel.
Victor Hugo en RAP je demande à voir ça ! merci pour ton commentaire, et vive la simplicité, qui n’est pas la chose la plus simple à atteindre !
Ça y est j’ai la réponse à ma question idiote : pourquoi est-ce que la poésie c’est écrit si c’est de l’oral ?
Bon…. d’accord c’était une question vraiment idiote.
N’empêche que maintenant si on me demande je n’ai pas seulement une réponse, mais deux ! Merci Denis.
Merci La Rousse du Bricolage ! 😀 ! La question n’est pas idiote du tout ! Certains musiciens emportaient autrefois des partitions sur leur lieu de villégiature pour le simple plaisir de lire la musique ! La frontière entre l’oral et l’écrit est parfois bien mince !
Cela m’a fait réfléchir à quel point ça ne doit pas être facile pour les compositeurs de créer des paroles qui non seulement se lisent bien, mais qui doivent surtout être entendues et ressenties. Ils doivent jongler entre des mots simples et accessibles tout en cherchant à provoquer une émotion immédiate… qué boulot !
Wow, encore une claque que je me prends en tant que parolière amateure. Du coup j’ai été relire « Le monde de demain » de NTM que j’ai toujours trouvé « poétique », avec ses octo, décasyllabes et alexandrins bien placés… mais l’irrégularité des vers et le lexique super-trivial confirme tes dires…
Encore merci pour ton blog, j’ai quelques articles de retard et autant de progrès à faire 🤩
Merci pour ton enthousiasme ! Par bonheur, il n’y a pas de réelle frontière entre poésie et chanson, et toutes les approches restent ouvertes !
Merci pour cet article très intéressant, comme toujours. Je comprends mieux pourquoi certaines chansons n’ont pas un franc succès alors que les paroles sont magnifiques.
Merci Jeanne pour ton commentaire. Inversement, en tant qu’auteur, je suis parfois surpris de voir que certaines de mes chansons « écrites sur un coin de table » fonctionnent bien mieux que celles qui m’ont demandé beaucoup de travail ! Elles parlent plus directement aux gens, tout simplement ! 🙂
Article intéressant qui donne des explications sur des chansons dont je pouvais adorer les textes mais qui « sonnaient mal ».
L’exception confirme la règle, et quelle exception : Brassens !
Brassens est un cas à part : son style « récitatif » est très proche du langage parlé, et s’accorde parfaitement avec la poésie.
Merci pour ces éclairages ! Très intéressant 😉
Merci Laura pour ton commentaire ! Le meilleur reste à venir ! 😉
Merci pour cette remise en contexte, je n’avais pas fait la différence et désormais c’est ultra clair. Les vidéos d’exemple sont « parlantes »!
Bonjour Freddy ! Une vidéo parlante lorsqu’on parle de langue orale, c’est le minimum ! 😉
Ah oui c’est intéressant cette distinction entre écrit et orale. Moi qui me suis essayée au slam il y a longtemps, je me rappelle le rythme parlé.
Merci Marine pour ton commentaire. Bien sûr il n’y a pas de frontière infranchissable entre tous ces univers, mais il est important de savoir où on se situe.
C’est fascinant de voir comment la chanson peut atteindre des niveaux littéraires et poétiques tout en restant accessible. Tu ouvre vraiment de belles perspectives sur l’art sous toutes ses formes. Merci pour ton article
Merci Jackie pour ton commentaire. Comme toi, j’admire la simplicité, qui a quelque chose à voir avec la grâce, et qui demande un travail invisible considérable.