En 1961, à tout juste 20 ans, Hugues Aufray sort le titre qui lancera sa carrière : « Santiano ». Cette adaptation d’un chant de marins anglais va propulser le jeune chanteur au firmament de la chanson française. Et depuis plus de 60 ans, il n’en est jamais redescendu !
Quant à Santiano… tout comme Hugues, cette chanson va connaître une carrière fantastique !
Je vous propose de découvrir les secrets du succès intemporel de cette chanson.
Mais d’abord, les paroles :
Les paroles de « Santiano » de Hugues Aufray
COUPLET 1
COUPLET 1
C´est un fameux trois-mâts fin comme un oiseau
Hisse et oh ! Santiano !
Dix huit nœuds, quatre cents tonneaux
Je suis fier d´y être matelot
REFRAIN
Tiens bon la vague et tiens bon le vent
Hisse et oh ! Santiano !
Si Dieu veut toujours droit devant,
Nous irons jusqu’à San Francisco
COUPLET 2
Je pars pour de longs mois en laissant Margot
Hisse et oh ! Santiano !
D´y penser j´avais le cœur gros
En doublant les feux de Saint-Malo
REFRAIN
COUPLET 3
On prétend que là-bas l´argent coule à flots
Hisse et oh ! Santiano !
On trouve l´or au fond des ruisseaux
J´en ramènerai plusieurs lingots
REFRAIN
COUPLET 4
Un jour, je reviendrai chargé de cadeaux
Hisse et oh ! Santiano !
Au pays, j´irai voir Margot
A son doigt, je passerai l´anneau
DERNIER REFRAIN
Tiens bon le cap et tiens bon le flot
Hisse et oh ! Santiano !
Sur la mer qui fait le gros dos,
Nous irons jusqu’à San Francisco
1961 : Hugues Aufray chante « Santiano »
Hissez Haut, Iceo, Hisse et Ho, Isseo ?
Hissez, Icé, Issé…? Y sait rien du tout, oui !
On voit de tout dans les « aurtografes » de cette expression, que certains prennent même pour le titre de la chanson ! Alors, une bonne fois pour toutes :
On écrit « Hisse et Oh », et cela signifie « Oh ! Hisse ! »
C’est ce que scandent les marins pour hisser les voiles.
« Oh » (et non pas Ho), pour le temps de repos, de reprise en main des cordages.
« Hisse » pour le temps de l’effort lorsqu’on hisse la voile.
Les origines de « Santiano »
Au départ, « Santiano » est un chant de marins anglais du 19ème siècle. Concernant son origine précise, chacun y va de sa petite explication : je cite en vrac Santa Anna, président du Mexique, ou Sainte Anne, patronne de la Bretagne et des marins bretons, Santianna, ou Santy Ano, c’est selon…
Une chose est sûre : dans la chanson originale, le bateau se rend au Mexique ! Mais pas notre Santiano francophone, qui lui va à San Francisco, à quelques encâblures de là.
L’histoire du « Santiano » de Hugues Aufray
En 1958, Hugues Aufray découvre cette chanson sous le titre de « Santy Anno », interprétée par le Kingston Trio, un groupe américain (oui je sais, San Francisco, Kingston, le Mexique, c’est un peu confus tout ça).
En tout cas, pour Hugues, c’est le choc ! Ecoutez ça :
Le parolier de « Santiano »
C’est Jacques Plante (alias Harold Jeffries, alias William David) qui écrira l’adaptation française de ce chant de marins anglais.
Jacques Plante, c’est l’auteur de « For me Formidable », « J’entends siffler le train », « Vieille canaille », et des centaines d’autres tubes.
Il a écrit pour les plus grands : Marcel Amont, Christophe, Dalida… et même Edith Piaf !
La recette de la chanson « Santiano »
Chronologiquement, c’est bien sûr la musique qui est apparue en premier, puisqu’il s’agit d’un chant traditionnel ancien, purement vocal. C’est donc par là que nous allons commencer.
En voici une magnifique interprétation :
La musique de « Santiano »
Cela s’entend tout de suite : « Santiano », c’est de l’authentique. Un vrai chant de marins !
Une musique simple
« Santiano », c’est d’abord une mélodie simple, avec une envolée, des notes tenues, des paroles répétitives. On dirait aujourd’hui que c’est un « chant de stade » : tout y est !
Un chant de travail
Autrefois, il n’était pas rare que les chants rythment le travail. Difficile à imaginer aujourd’hui face à nos ordinateurs ! Eh oui : la musique donne de la force et du courage ! Ainsi, les chants de marins accompagnaient (et accompagnent encore parfois) les dures manœuvres de l’équipage.
Un chant à répondre
C’est la dernière grande caractéristique de ce type de chant : un meneur « raconte » seul l’histoire.
Et tandis qu’il reprend son souffle, ses camarades répondent, soit en répétant, soit (comme c’est le cas ici) en chantant un refrain ou un gimmick.
La chanson se relance ainsi perpétuellement.
Couplet et refrain : même combat !
La musique du couplet et celle du refrain sont les mêmes. Voilà qui simplifie encore la tâche des chanteurs et qui apporte de la cohésion à toute l’équipe.
Donner de la voix !
Enfin, ce type de chant offre à chacun une grande liberté pour laisser aller sa voix : double voix, tierce, quinte, octave, reprise en écho, tout y passe, et surtout, surtout : tout est beau, car chacun y trouve sa place, et l’effet de groupe fait le reste !
Les Paroles
« Santiano » : une chanson monorime
La première caractéristique de cette chanson est qu’elle n’a quasiment qu’une seule rime. Et pas n’importe laquelle : une rime en « O ».
La rime en « O », c’est la garantie d’un chant qui va entrainer le public.
De nombreux tubes destinés à être chantés par le public intègrent des « OOoo ». De « Englishman In New York » de Sting, à « Mandela Day » de U2, Les exemples sont innombrables, sans parler du premier tube de Magic System « Premier Gaou » dont tous les vers sont conclus par le phonème « O » !
ET d’ailleurs, le public lui-même ne chante-t-il pas spontanément « Wo-o-o-O-o » pour les rappels ?
« Santiano » : des paroles énigmatiques
Une grande partie de la magie de cette chanson vient du côté mystérieux des paroles du refrain :
Dès le départ, on sait que le bateau tient bon la vague et tient bon le vent.
Charge au capitaine de tenir bon la barre et aux fiers matelots d’en tenir bon les voiles, Hugues Aufray se charge de tenir bon le chant.
Hisse et oh, Santiano !
Cette belle séquence vocale nous emmène déjà en voyage.
Vous savez déjà ce que signifie « Hisse et oh », et nous avons parlé de la puissance de la rime en « O ».
Mais qu’en est-il de « Santiano » ? Est-ce le nom du bateau, de son capitaine, de la destination finale ? L’histoire se garde bien de nous le dire, laissant notre imagination faire le reste. C’est un procédé connu en chanson, qui fonctionne (presque) toujours !
Et ce n’est pas tout !
18 nœuds, 400 tonneaux
Avec cet obscur jargon de marin (est-ce la cargaison, un code, un trafic ?), Santiano nous emmène directement à bord sans mode d’emploi, comme un mousse embarqué malgré lui dans une grande aventure.
On parle en fait de la vitesse du bateau : 18 nœuds, soient 33km/h. Un bon rythme pour un voilier de cette époque, surtout au regard de son volume : 400 tonneaux !
Le tonneau, c’est l’unité de volume de la marine à l’époque (d’où le tonnage). Un tonneau fait 100 pieds-cubes, soient presque 3 mètres-cubes. Santiano est donc capable de transporter 1200 m3. Un bon tonnage international !
« Santiano » une histoire romantique
Le reste des paroles nous fait tout autant rêver : un marin qui laisse sa belle pour de long mois, et qui la retrouvera –si Dieu le veut- chargé d’or pour l’épouser.
La force du dernier refrain
Le dernier refrain est un peu différent des précédents. Ce procédé permet, tout en relançant l’intérêt, d’annoncer la conclusion.
Mais ici, Jacques Plante va encore plus loin :
Plus loin dans le sens des mots : la mer « fait le gros dos », l’affaire n’est donc pas gagnée pour nos marins.
Plus loin dans le son des mots, puisque la seule rime de la chanson qui n’était pas en « O » (le vent) l’est désormais.
Par la conjugaison de ces deux effets, Jacques Plante nous emmène en haute mer. Du pur génie !
« Santiano », chanson aux multiples versions
Outre la magnifique version des Marins d’Iroise présentée juste avant, il existe de nombreuses variantes de « Santiano ». Je vais vous présenter les plus intéressantes.
On laissera de côté les versions plutôt insipides de la Star Académy et de Kids United, dont les aspirations relèvent plutôt…. de la marine marchande !
De la même façon, la version contemplative de Laurent Voulzy, même si elle apporte un éclairage nouveau, a perdu tout le sel (marin) de ce chant.
Le groupe allemand « Santiano » propose avec Nathan Evans une incontournable version très « marine », en anglais mais avec des paroles réécrites. Splendide !
Le groupe français « Celtic Fantasy » apporte une touche intéressante avec un motif rythmique original joué à la cuillère, et surtout un petit changement harmonique du meilleur effet. A découvrir !
Des remix techno ont bien sûr été réalisés !
Dans un style plutôt extrême, voici le bourrinesque D-Frek Frenchcore remix, à ne consommer qu’après avoir absorbé des substances psychotropes. Gare à ne pas passer au travers du pont !
On s’attardera un instant (ou pas) sur la seule version féminine de cette chanson, avec Angel Lyne. Hum, malgré l’autotune je préfère encore embarquer sur le Titanic avec Céline Dion !
Mais LA PLUS BELLE VERSION, c’est bien sûr celle que vous et moi chantons depuis des décennies autour des feux de camps et des veillées, carnet de chant en main !
En cela, ce chant de marins anglais est devenu un vrai chant traditionnel français.
A vous de jouer !
Je vous propose de rédiger et d’écrire en commentaire un quatrain de votre tonneau avec des rimes en « O ».
La bonne nouvelle, c’est qu’en fait vous ne rédigerez que deux vers, puisque je vous donne les deux autres : c’est « Oooo » et « Oooo » !
Exemple :
Je fais des bons gâteaux
Oooo
Je suis l’roi des cuistots
Oooo
(je sais, je sais : ce n’est pas intellectuel, mais ce n’est pas le but. Et en plus les gâteaux, j’adore ça !)
Pour aller plus loin
Vous pouvez adapter ou créer une chanson complète sur le schéma du chant à répondre. Faites simple : le but ici est que votre public reprenne en chœur une mélodie.
Pour cela, comme on l’a vu plus haut, vous utiliserez soit la répétition, soit une réponse si basique (une ou deux notes suffisent) qu’elle sera connue dès la première tourne.
Tiens bon le cap et tiens bon le FLOW, Santiano !
On dit que la vieillesse est un naufrage. Pas pour Santiano, dont le capitaine Hugues Aufray, du haut de ses 94 ans, est en plein tour de chant, après avoir épousé à l’automne dernier la jeune Murielle, de 45 ans sa cadette ! Le sel, ça conserve !
On va finir avec une de ses dernières prestations, 60 ans après la sortie du disque ! Respect !
Quant à vous, je vous souhaite bon vent, et
Vive la Chanson !
Toujours prête à jouer !
« Ah mais voilà un article nouveau
Oooo
Je crois ben que c’est de loin le plus beau
Oooo »
Blague à part je suis impressionnée par ce travail d’analyse/expertise. Je me remets au songwriting et je me rends compte que c’est tout un art dont je ne sais rien du tout ! Et quelle belle chanson/adaptation en effet 🤩. Alors merci !
Merci Eva pour ta participation et pour ton enthousiasme ! Je le dis souvent (il faudra que je fasse un article là-dessus) : écrire des chansons, c’est comme faire la cuisine : il y a des recettes ! Et je suis sûr que sans le savoir tu en connais déjà plein !
Haha, cette chanson intemporelle ! Je l’avais apprise à l’école primaire… Je ne connaissais pas tous les détails que tu nous décris. Merci pour retour en enfance, et la descriptions de l’envers du décors de cette chanson !
Merci pour ce sympathique retour ! C’est vrai que ça ne nous rajeunit pas ! Quand on sait que Hugues Aufray la chante toujours sur scène, cela relativise pas mal de choses !
J’ai connu cette chanson à la chorale. J’habite en Vendée depuis trois ans.
J’ai bien rigolé avec ton exemple du quatrain et les deux vers 😂
Voici le mien:
J’adore lire tes articles
Oooo
Ils me font voyage
Oooo
Alors ça c’est drôle ! Car je connais ton blog, et figure-toi que tes articles aussi me font voyager ! Merci pour ton enthousiasme et ta bonne humeur. Bravo pour ta participation au petit jeu ! (bon, normalement, ça doit rimer en « o » mais on ne va pas chipoter 😉
ah cette chanson est connue dans le monde entier! Le rêve de tout artiste et ce même après des décennies. Les chorales l’adorent !
je tente:
J’aime beaucoup les bateaux
Oooo
les voiles hissées bien haut
Ooooo
Santianoooooo 🙂
Merci pour le partage
Merci Caroline pour ton enthousiasme et pour ta participation au petit exercice ! Bravo, et en plus tu es restée dans le thème : c’est ce qu’on appelle surfer sur la vague ! 😉
J’adore… je rédige ce commentaire en écoutant cette chanson ! J’adore l’expérience…
Au-delà de toutes ces belles émotions, je trouve vraiment impressionnant le travail que tu fournis.
Je m’essaie à l’exercice :
J’aime les vidéos
Ooooo
Et les jeux de mots
Ooooo
Merci
Ça m’a donné la pêche !
Merci Laetitia pour ta contribution et ta bonne humeur communicative ! A mon avis, tu tiens un tube !
Je ne saurais pas entrer en compétition avec les belles propositioOOOns qui ont déjà été faites… mais j’ai adoré lire l’article, qui m’a permis de découvrir cette chanson sous un autre angle !
Merci Jessica pour ce commentaire ! Pour faire le petit jeu, je connais une rime en « o » toute trouvée ! N’est-ce pas, Madame PaléoOOOo ? 😉
Super ton article. Ce qui m’a permis de découvrir pas mal de choses au sujet de cette chanson mythique. Du coup, je me laisserai peut être tenté pour en faire une petite version fingerstyle pour guitare 🙂
Merci 🙂
Merci pour ce sympathique retour ! Je connais ton site « Guitare pratique » que je vais voir régulièrement. Quelle bonne idée de faire une version fingerstyle ! Si tu en fais une vidéo, je mettrai un lien !
J’ai connu des petits de 4 ans fans de cette chanson multi culturelle et multi générationnelle !
Je suis, moi aussi, toujours prête à jouer, et surtout… à tricher un peu.
Gratte moi la puce que j’ai dans l’dos
Oooo
T’aurai du la gratter plus tôt
Oooo
LOL ! Merci pour cette belle création, qui me rappelle toutefois quelque chose… 😀
C’est vrai qu’en tant que bricoleuse, tu as l’habitude de recycler des matériaux anciens ! 😉
J’adore Hugues Aufray. Et pour toi, ce petit poème :
Je n’suis pas une aristo
Oooo
Mais j’aime bien les trucs rigolos
Oooo
Merci Jackie pour ce joli petit texte rafraîchissant qui m’a donné le sourire ! Je me reconnais complètement dans ce que tu écris !
Un super travail de fond pour cette chanson, j’ai appris beaucoup et t’en remercie. Ce chant résonne dans la tête de nombreuses personnes à travers le monde et je l’espère encore pour très longtemps.
C’est vrai que « Santiano » est bien plus qu’une chanson, c’est devenu un hymne, le symbole d’une façon d’être.