En ce 8 mars, journée internationale des droits des femmes, comment ne pas parler de « La grenade », chanson qui est devenu un hymne du féminisme ? Je vais tout vous dire sur ce magnifique titre de Clara Luciani, nouvelle icône de la pop culture.
Les paroles de La Grenade de Clara Luciani
COUPLET 1
Hé toi !
Qu’est-ce que tu regardes?
T’as jamais vu une femme qui se bat
Suis-moi
Dans la ville blafarde
Et je te montrerai
Comme je mords, comme j’aboie
REFRAIN
Prends garde :
Sous mon sein, la grenade
Sous mon sein, là, regarde
Sous mon sein, la grenade
Prends garde :
Sous mon sein, la grenade
Sous mon sein, là, regarde
Sous mon sein, la grenade
COUPLET 2
Hé toi !
Mais qu’est-ce que tu crois?
Je ne suis qu’un animal
Déguisé en madone
Hé toi
Je pourrais te faire mal
Je pourrais te blesser, oui
Dans la nuit qui frissonne
REFRAIN
COUPLET 3
Hé toi
Qu’est-ce que tu t’imagines?
Je suis aussi vorace
Aussi vivante que toi
Sais-tu
Que là sous ma poitrine
Une rage sommeille
Que tu ne soupçonnes pas.
REFRAIN
Carte d’identité de la chanson La Grenade
Auteure Compositrice : Clara Luciani
Producteur : Benjamin Lebeau
Réalisateur : Ambroise Willaume
Année de sortie 2017
L’histoire de « La grenade » de Clara Luciani
Une artiste expérimentée
Clara Luciani, malgré son jeune âge, a déjà quelques heures de vol : avant d’être connue sous son nom « Clara Luciani », elle a notamment été la chanteuse du groupe « La femme ».
Sa grande sœur Léa (alias Elha) a remporté « Popstars en 2013 avec le groupe « The Mess ».
Je vous invite à l’écouter ici : la sororité est flagrante!
Depuis, Clara Luciani a épousé le chanteur du groupe britannique « Franz Ferdinand »,
Donc le studio et les concerts, elle connait !
Alors : ça me coûte de le dire, mais dans le monde de la musique et de la chanson comme ailleurs, les gros relous, ça existe ! J’en ai personnellement croisé quelques beaux exemplaires au hasard des studios ou des backstages. Par bonheur il ne s’agit pas d’une généralité systémique comme on peut le voir dans le cinéma.
C’est ainsi que Clara Luciani, échaudée par quelques crétins suffisants qui sous-estimaient ses talents, s’est fendue d’un coup de gueule musical avec ce cri qu’est « la grenade » même si le déclencheur a été en réalité un chagrin d’amour.
Une grenade à retardement
Le moins que l’on puisse dire, c’est que « La grenade » n’a pas tout de suite explosé les ventes !
Car le titre est sorti le 9 décembre 2017.
Et là, savez-vous ce qu’il s’est passé ? Rien ! Pendant plus d’un an !
Il a fallu attendre le 12 janvier 2019 pour que le titre se hisse péniblement à la 187ème place des ventes.
Ensuite, tout s’accélère : Dès le 22 février, « La grenade » s’installe solidement dans les 30 meilleures ventes et il n’en bougera plus durant 6 mois ! C’est le boum !
La suite, on la connait : En France, 1ère place des téléchargements, 2ème des ventes, 6ème des diffusions radio. En Belgique, 2ème à l’Ultratop en Belgique, et 7ème en Suisse.
Plus deux Victoires de la musique, en 2019 et 2020 ! Puis une troisième en 2022 !
Accessoirement, « La grenade » a même été repris par le groupe Metronomy.
Le résultat : UN MASSACRE !
A mon avis, la grenade a dû exploser au moment de l’enregistrement. C’est blindé de fausses notes, la grille d’accord est fausse, Les harmonies sont fausses, bref c’est pire que moche ! Passons…
Les hommes de l’ombre :
Talleyrand disait :
« Derrière chaque grand homme, il y a une femme ».
Cette fois-ci, la parité est respectée ! Car
« Derrière la grande Clara Luciani, il y a un homme »
…et même trois hommes !
Benjamin Lebeau, Ambroise Willaume, Pierre Elgrishi.
Leurs noms ne vous disent rien ? Pas d’inquiétude : je vais vous les présenter plus loin !
La recette de « La grenade » de Clara Luciani
Les Paroles
Un accroche imparable
D’entrée, Clara nous hèle avec ce génial « Hé toi ! » qui capte instantanément l’attention.
Tout au long des couplets, le texte est une suite d’interpellations sous forme d’interrogations rhétoriques assez animales qui s’adressent à un homme qu’on imagine irrespectueux.
Le tout sur un rythme syncopé, saccadé, qui appuie le propos.
Des ruptures de rythme
Le Refrain quant à lui est très différent, tant dans les paroles que dans la musique.
Clara parle cette fois d’elle-même.
On comprend naturellement l’analogie entre le sein féminin, symbole de vie, et la grenade dont la forme est comparable, mais qui peut tuer. Sous le sein se trouve également le cœur. Voilà pour le fond.
Un coup de génie
Ce n’est pas tout !
Parlons de la forme : car au 3ème vers intervient une relance absolument géniale :
Au moment où l’on pense que Clara va répéter :
« la grenade » elle dit au contraire : « là, regarde ! ».
Effet de surprise et de sidération !
On prend conscience de la dangerosité de cette femme qui nous a piégé au détour des mots ! En effet, ce n’est qu’à posteriori qu’on comprend qu’elle n’a pas dit « la » (article féminin), mais « là » (adverbe), en nous interpellant une nouvelle fois avec son « regarde », comme on exhibe une arme, pour bien nous montrer qu’elle ne bluffe pas.
Et pour finir, elle revient sur :
« Sous mon sein la grenade » comme si elle dissimulait à nouveau son explosif, prête à l’utiliser. Du pur génie !
Au passage, on remarque que si la rime « reGARDE/greNADE » est approximative, elle nous renvoie aussi à « prends GARDE », qui est une rime riche.
Comme dit le grand Claude Lemesle, le sens doit primer sur la rime !
La musique
La ligne de basse
Que serait « La grenade » sans sa magnifique ligne de basse qui rappelle à la fois les mythiques basses pop londoniennes des sixties et les basses US funky syncopées des seventies. J’adore !
C’est ici qu’intervient notre premier « homme de l’ombre » : Pierre Elgrishi, dit « Pierre Grizzli » (ou « Pierre » tout court). Car le bassiste, c’est lui !
Son secret ? Mettre les notes en syncope, c’est à dire non pas sur le tempo, mais « en l’air », entre les temps !
Et quand on écoute ses chansons, on s’aperçoit qu’il y a un air de famille musical avec Clara !
Une structure contrastée
Des couplets hachés et descendants
Les couplets sont syncopés, hachés, dépouillés. Cela conforte le côté agressif et animal du discours, et met en avant les paroles, puisque c’est le moment où Clara nous interpelle.
Les couplets sont construits sur des lignes mélodiques et harmoniques descendantes (les notes descendent la gamme, de plus en plus bas).
Les accords descendent tout simplement DO SI LA SOL (je vous fais grâce des modes et altérations)
Des refrains liés et montants
A l’inverse des couplets, les refrains sont liés, la mélodie est fluide, mais elle est puissante.
C’est le moment où Clara parle d’elle-même, avec cette douceur qui cache une grande force. Ici encore, la musique est en cohérence totale avec le propos :
Cette fois, c’est une succession de montées, qui elles-mêmes montent de plus en plus haut :
On dirait des vagues de plus en plus hautes : jusqu’au MI, puis au FA, au SOL et au LA !
On part de la tierce (3ème note de la gamme) sur « Prends garde ».
On monte ensuite jusqu’à la quarte (4ème note), puis un peu plus jusqu’à la quinte (5ème note) enfin encore plus jusqu’à la sixte (6ème note), pour redescendre brutalement sur une inquiétante dernière note grave.
Ici intervient le deuxième « homme de l’ombre » : Ambroise Willaume, le réalisateur. On lui doit une bonne partie des arrangements. Ces contrastes, c’est lui qui les a impulsés.
Vous pouvez écouter ici Ambroise Willaume avec son groupe « Astral Bakers ». Là encore, le son de la Fender Jaguar nous rappelle l’univers de Clara Luciani.
Une production ciselée
Le troisième « homme de l’ombre », c’est le producteur : Benjamin Lebeau (en photo). C’est lui le maître du son, celui qui inspire et contrôle les lignes générales de l’enregistrement.
Il a notamment produit Julien Doré, Woodkid, Cœur de Pirate, Gaëtan Roussel, Lou Doillon, Raphaël… pour ne citer qu’eux !
Il a désormais installé son studio d’enregistrement et de production en Ardèche, bien loin du stress de la capitale où il travaillait jusque-là.
A vous de jouer
Je vous propose, en cette journée internationale des droits des femmes, d’écrire un très bref texte féministe qui commence par une interpellation.
La consigne : une interpellation (comme Hé toi !), puis deux vers choc qui riment.
Attention, pas de propos insultant ni sexiste : féminisme ne signifie ni grossièreté ni misandrie !
Ecrivez votre texte en commentaire.
Pour aller plus loin
Si vous êtes auteur-compositeur, vous pouvez poursuivre le travail.
Le petit texte que vous venez de créer constitue un début de couplet.
Poussez plus loin en écrivant d’autres formules sur le même schéma qui vont construire une chanson.
Pour le refrain, parlez de vous, comme le fait Clara Luciani.
Enfin, si vous êtes musicien.ne, essayez de créer une ligne de basse efficace qui servira de support au couplet. Soyez simple : peu de notes. Ce qui compte ici, c’est la syncope.
En conclusion
Clara Luciani nous démontre s’il en était besoin que la musique et la chanson ne sont pas l’apanage d’un genre. Les artistes (et notamment dans le domaine de la chanson) sont sans doute les individus en qui la dualité masculine/féminine est la plus présente. Et c’est très bien ainsi. Ce qui compte, c’est le croisement des sensibilités, d’où qu’elles viennent.
Multiplions nos collaborations, dans le respect et l’harmonie !
Vive le 8 mars, journée internationale des droits des femmes, et
Vive la Chanson !
J’aime ton article autant que la magnifique ligne de basse de ce chef d’œuvre.
Merci pour ton commentaire ! Les meilleures musiques sont souvent les plus simples… et donc les plus difficiles à composer !
C’est toujours un plaisir de grandir en tant que chansonnière en herbe à chaque article de l’Académie. Et c’est un régal quand le sujet concerne une artiste, une chanson et un thème qui tient à coeur !
Merci Eva pour ce commentaire. C’est un plaisir et un honneur de savoir que mes modestes productions t’accompagnent dans ton travail !
Encore un excellent article, merci ! Je découvre en passant le parcours de Pierre, avec lequel j’ai joué à l’époque ou lui comme moi étions encore Jazzmen 😉
Je profite en passant pour partager une de mes compositions (sur une texte de l’auteur Jérôme Carbillet), avec Nina Savary en guest.
Je suis compositeur, arrangeur, guitariste, bassiste, et ouvert à toute proposition de collaboration, avec d’uares auteur-autrice, musiciens, etc.
Contact sur les réseaux: Matthieu Rosso
https://soundcloud.com/grovproject/les-variations-du-ciel-guest-nina-savary?si=e8defeb3bab64acbb4e2f5e4032d22f9&utm_source=clipboard&utm_medium=text&utm_campaign=social_sharing
Merci Matthieu pour ce commentaire… et pour l’incroyable chanson que tu nous partages ! C’est une composition vraiment très originale, magnifiquement servie par la voix de Nina Savary. Un pur bonheur !
J’adore ce que tu proposes. Des chansons oubliées ou pour certaines à découvrir. Merci
Merci pour ta fidélité !
Salut Denis, merci pour cet excellent article! C’est génial de comprendre l’artiste, son équipe et l’inspiration de sa chanson . Cela donne une toute autre image de ce hit. Incroyable qu’elle ait mis autant de temps à être connue. Comme quoi, il faut être patient et toujours garder espoir !
J’adore cette artiste et cette chanson ! J’ai appris plein de choses, tous les détails apportés sont top ! Merci de l’avoir mise en avant pour cette journée importante 😊✊
Merci pour ton commentaire ! Clara Luciani, pour moi, c’est le vrai renouveau de la chanson française : tout y est, tant dans la forme que dans le fond !
Merci pour cet article qui allie remarquablement bien la description textuelle de l’auteur avec les différents rythmes musicaux. Bravo !
Merci pour ton commentaire ! C’est vrai que cette chanson combine à la perfection le sens du texte avec les variations instrumentales.
Je viens de suivre Clara Luciani sur Spotify, je connaissais cette chanson mais pas son histoire.
Je fais de belles découvertes avec ton blog. Merci !
Pour la journée internationale des droits des femmes, je propose : assez ! ou ça suffit ! j’essaie de poster le vers plus tard 🙂
Merci Adriana pour ta participation ! On attend la suite avec impatience !
« Hé toi !
Tu es mon essentiel,
tu m’a donné des ailes ! »
Bon je sais, il y a du travail, mais j’ai joué le jeu ! 😅Je voulais simplement réconcilier femmes et hommes car je trouve triste que la journée de la femme devienne parfois une journée anti-hommes; on est tellement complémentaires ! Merci d’avoir mis en lumière cette chanson que j’apprécie beaucoup. 😊
Merci Maud pour le magnifique message que tu envoies ! Nous vivons une époque clivante où la bienveillance et la (ré)conciliation sont rarement la règle. Je te remercie d’avoir joué le jeu, et de l’avoir fait de si belle manière !
Je trouve que parfois le large public a besoin de temps pour apprécier, comprendre et accepter quelque chose qui a l’air surprenant et inhabituel, cela se voit bien dans l’historique de la popularisation de cette chanson de Clara Luciani.
Merci d’avoir partagé avec nous cette analyse profonde et fort intéressante pour cette chanson féministe et de ce pas bien marquée la Journée internationale des droits des femmes !
Merci Oxana ! Le succès d’une chanson dépend aussi de sa programmation. Ici, ce sont des producteurs (entendre des « producers ») qui ont les uns après les autres été séduits par ce titre, et qui l’ont imposé aux radios. Un parcours atypique !
Merci pour ce bel article. Ca m’a permis de me replonger dans la chanson et de la ré-écouter à la lumière de tes éclairages. C’est assez rare de voir d’aussi belles lignes de basses sur une chanson française récente. Le bassiste assurait vraiment!
Merci Elise pour ton commentaire ! Ce type de basse revient un peu : on peut citer Malo ou Calogero qui ont remis cet instrument en avant dans certaines chansons. Mais celle-ci est vraiment somptueuse !
Merci pour cet article hommage à cette magnifique chanson que j’aime beaucoup ! Même si je fait partie des retardataires qui ont découvert cette chanson après sa sortie. J’apprécie particulièrement ton approche qui s’intéresse à l’histoire et la « fabrication » de la chanson qui permet vraiment de donner du relief au titre et l’écouter différemment.
Merci Edna ! La vocation de l’Académie de la Chanson est de former à l’écriture et à la composition. Quelle meilleure école que celle de nos pairs, particulièrement quand ils ont autant de talent !
C’est très intéressant de découvrir l’histoire qui se cache derrière une chanson. Merci de nous partager ces pépites.
Merci Jeanne ! Chaque chanson cache son histoire… et aussi beaucoup de travail !
C’est un article très original aussi bien sur le fond que sur la forme. J’ai passé un très bon moment en le lisant. Merci !
Merci Détélina ! Les tubes pop sont souvent bien plus élaborés qu’on l’imagine !
J’aime beaucoup ce que fait « la femme », je savais qu’il y avait plusieurs changement de chanteuse mais je n’avais pas fait le rapprochement.
Merci pour cet article encore très riche
Merci Freddy pour ta fidélité !
Merci de m’avoir fait découvrir les paroles de cette chanson. Je ne prête souvent pas assez attention aux paroles et je dois avouer que la phobique des armes que je suis étais récalcitrante à écouter une chanson qui parle de grenade explosive.
Comme à chaque fois, inspirée ou pas, je joue. Cela devient mon exercice flash d’écriture hebdomadaire. Cette fois ci, pas facile de trouver autre chose que le « et toi ! ».
« Viens là !
Viens, écoute moi
Ne t’en va pas déjà «
Clara s’est chargée du féminisme, tu plaides pour le pacifisme ! Deux belles causes qui ont bien besoin d’être soutenues ! Bravo pour ton écriture, c’est fluide, ça donne envie de rester et d’écouter 😉 !
Merci de nous faire découvrir des artistes. J’aime beaucoup la chanson de Clara Luciani, je l’ai ajoutée à ma playlist
Merci pour ta fidélité ! Ta playlist va s’allonger : il y a plein d’autres pépites à venir !
Merci pour ton article qui me fait découvrir les artistes français. Ayant vécu 36 ans en Italie, j’ai perdu le contact français. L’histoire de Clara me fait penser à mon histoire avec mon blog. Le succès est là, présent, il faut être patient et avoir un Mindset de fer.
La langue française est belle et riche, et il y a actuellement un nouvelle génération d’artistes qui se révèlent. On n’a pas fini de découvrir des pépites !
Merci de m’avoir fait découvrir la chanson, l’artiste et surtout l’histoire derrière la chanson.
Merci pour ton commentaire : la plupart des chansons trouvent leur source dans un élément déclencheur parfois sérieux ou grave, mais aussi fortuit ou anodin ! Et elles trouvent parfois une universalité qui fait leur succès !
Merci pour cet article, c’est très intéressant de connaître toute l’histoire d’une chanson
La plupart des chansons ont une histoire, un déclic. Souvent il s’agit d’un simple détail, une image, une simple émotion… C’est pour cela nous touche autant!