Le secret de Cabrel
Francis Cabrel le dit lui-même : Il n’a aucun génie. En revanche, c’est un besogneux !
Quand la plupart des paroliers se cantonnent dans la « rime suivie », c’est-à-dire « AABB », Francis Cabrel, lui, va explorer de nouveaux territoires.
Le résultat ? Des chansons différentes, qui nous surprennent au détour de chaque phrase et qui se marient parfaitement avec la musique.
Dans cette série de trois articles, je vous montre comment vous approprier les techniques du grand Francis pour vos propres chansons !
Dans ce premier volet, nous parlerons des RIMES CROISEES.
Les rimes croisées simples
La rime AABB, la plus courante en chanson, ça n’est pas trop le truc de Cabrel. Trop basique !
Lui, ce qu’il veut, c’est créer un effet par la construction même de ses rimes.
Et la façon la plus simple, c’est la rime croisée : ABAB
Et c’est de cela qu’on va parler aujourd’hui !
Avec la rime croisée, Cabrel crée déjà une attente, un suspense. On guette la rime suivante, elle tarde à s’offrir, et inconsciemment notre esprit la recherche, l’’imagine presque.
Un exemple avec « Ma place dans le trafic »
A Le jour se lève à peine
B Je suis déjà debout
A Et déjà je promène
B Une lame sur mes joues
A Et le café qui fume
B L’ascenseur qui m’attend
A Et le moteur que j’allume
B M’aident à prendre lentement
(rime orpheline) Ma place dans le trafic.
Et Cabrel va aller plus loin avec la rime croisée :
Les rimes croisées avec le dernier vers plus court
Dans « La robe et l’échelle », Cabrel reprend les rimes croisées, mais crée un effet de surprise en anticipant la dernière rime, comme s’il nous coupait l’herbe sous le pied.
Evidemment, cette structure est en phase avec le propos !
A. T’avais mis ta robe légère
B. Moi l’échelle contre un cerisier
A. T’as voulu monter la première
B. Et après… ✂️
A. Ya tant de façons, de manières
B. De dire les choses sans parler
A. Et comme tu savais bien le faire
B. Tu l’as fait… ✂️
Ce n’est pas fini ! Car Cabrel a plus d’un tour dans son sac
Les rimes croisées avec le dernier vers plus long
Dans « Animal », Cabrel crée au contraire une attente, un suspense supplémentaire en rallongeant, et même en « remplissant » le dernier vers de la séquence au lieu de nous offrir la rime au moment où on l’attend.
A. Tu voudrais qu’elle t’aime
B. T’as changé tes manières,
A. Tu prends des allures mondaines,
B. Tu racontes seulement tes voyages en première, en première. (vers rallongéééé)
Pour finir cette séquence « rimes croisées », Cabrel nous propose une nouvelle forme :
Les rimes croisées avec une rime doublée.
Dans « A chaque amour que nous ferons » Cabrel crée encore une fois le suspense et l’attente en doublant l’avant-dernière rime avant de nous offrir la conclusion en dernière rime.
Ce qui donne une structure ABAAB
A. Je me noierai dans tes étreintes,
B. Dans tes vallées, tes sillons
A. Tes merveilleux labyrinthes
A. Et tes mystérieuses plaintes
B. À chaque amour que nous ferons
A. Le rouge de ta bouche peinte
B. Enflammera l’horizon
A. Jusqu’aux étoiles presque éteintes
A. On y trouvera nos empreintes
B. Et de là, nous nous perdrons
Vous avez vu ?
On attend une rime B au quatrième vers, et non : c’est A qui revient, créant un sentiment de durée, voire d’infini.
Et puis quand on n’y croit plus, le 5ème vers résoud la tension avec la rime B et apporte la conclusion.
Quoi, vous avez remarqué autre chose ?
Ah oui c’est vrai : chaque couplet se termine toujours par la même rime : une rime en « on ».
Eh bien on appelle ça une « rime refrain »
Et ça tombe bien, parce qu’on en parlera dans la seconde partie de cette série d’articles !
À vous de jouer !
Pourquoi je vous raconte tout ça ?
Pas simplement pour le plaisir de l’analyse, non.
Mais plutôt parce que toutes ces techniques, vous pouvez les appliquer à vos propres chansons.
En commençant par les plus simples bien sûr.
Et vous allez voir que cela va sublimer vos textes !

Si vous commencez par la musique
C’est tant mieux : Avant même de commencer à écrire votre texte, vous pourrez organiser vos rimes pour qu’elles mettent mieux en valeur votre mélodie.
Pour cela, comptez les pieds de chaque vers de votre chanson, et numérotez-les.
Ecrivez votre chanson sous forme de numéros, comme si l’on comptait les syllabes.
Puis voyez la structure de rimes que vous mettez en place. Il ne vous reste plus qu’à respecter le schéma pour écrire !
Pour mieux comprendre, voici ce que donnerait le début de La Marseillaise.
(« Al / lons / z’en / fants – de / la / Pa / tri / i / e » devient « 1 2 3 4 – 5 6 7 8 9 10 »)
A. 1 2 3 4 – 5 6 7 8 9 10 (faire rimer en A)
B. 1 2 3 4 5 – 6 7 8 (faire rimer en B)
A. 1 2 3 4 5 6 7 8 9 5 (faire rimer en A)
B. 1 2 3 4 5 6 7 8 (faire rimer en B)
A. 1 2 3 4 5 6 7 8 9 (faire rimer en B)
Si vous commencez par les paroles
C’est tant mieux aussi : certains effets, comme la rime croisée et ses déclinaisons, sont toujours jolis, quelle que soit la mélodie. Utilisez-les !
Et vous verrez qu’elles vont même contribuer, par leur musicalité, à vous inspirer des mélodies nouvelles !
Au travail !
Prenez votre courage à deux mains, une feuille dans la troisième et un stylo dans l’autre, et rédigez un petit quatrain en rimes croisées. Vous pouvez l’écrire en commentaire !
En conclusion
La force de Cabrel est qu’il met en place un système de versification en amont de son écriture.
Il n’y a là rien de difficile, et vous pouvez en faire autant.
Alors, à vos stylos pour organiser la forme technique de vos chansons !
Et croyez-moi, vous verrez la différence !
A. Croisons le fer
B. Le chant, le son,
A. Croisons les vers !
B. Vive la Chanson !
super article. c’est une découverte ! merci de cette pépite !
Et il y en a plein d’autres à venir ! Prépare ta sacoche d’orpailleuse !
J’aime beaucoup ces analyses concrètes de textes… Et l’écriture de Cabrel!!! Merci, merci!!
Merci pour ton retour ! C’est toujours intéressant de voir les textes de chansons sous leur forme écrite : cela permet d’en visualiser la structure, pas évidente à repérer à l’oral.
Wow, cette structure ABAAB sur « Chaque amour que nous ferons », quelle claque ! Grâce à ton article je découvre cette chanson (10 ans après !).
« Merci aussi pour les astuces
De création des paroles
Qui nous évitent les cactus
Et les montagnes russes
Quand l’inspiration somnole »
Cabrel n’a qu’à bien se tenir, la relève est assurée ! Bravo pour ta strophe fluide et inspirée ! J’adore ! 🙂
Merci pour cet article
Je découvre tout l’art de l’écriture, qui ajoute à l’amour des mots, la logique mathématiques.
Les paroles raisonnent souvent si simplement qu’on n’imagine pas toute la recherche subtile et nécessaire pour arriver à toucher notre sensibilité, comme le fait si bien Mr Cabrel.
Comme toujours, la simplicité demande beaucoup de travail. Un travail dont le but est d’être invisible ! 🙂
Merci pour cet article très instructif ! J’ai trouvé ton analyse des rimes croisées de Cabrel fascinante. C’est un excellent moyen de comprendre comment l’artiste manipule les structures pour créer des effets de suspense et de surprise dans ses chansons. C’est une belle source d’inspiration pour ceux qui veulent améliorer l’écriture de leurs textes 🙂
Merci Rémi pour ton commentaire. On néglige trop souvent l’architecture même de la chanson avant de poser les mots. Cabrel nous donne ici une belle leçon !
J’adore ton article, j’ai l’impression de comprendre quelque chose qui m’effraie un peu, comme les rimes, la chanson…Je ne connaissais même pas le terme rimes croisées, cela m’apprend beaucoup. 😊
C’est d’ailleurs amusant, car la partie « mathématique » ne me pose aucun problème.
Merci Véronique ! Les mathématiques ont beaucoup à voir avec la construction d’une chanson, pour les paroles bien sûr, mais bien plus encore pour la musique !
Wahou !! Merci pour cet article ! C’est fascinant de voir comment Cabrel joue avec les rimes pour créer de la surprise et de l’émotion ! J’ai écouté toutes les chansons de l’article. Merci pour ce beau voyage musical 🎶👏 et pour cette analyse poussée des rimes. Hyper intéressant !
Merci Lucile ! Voilà bien le commentaire d’une passionnée !Bravo pour ta belle énergie communicative !
Super intéressant de décortiquer ces chansons. C’est toujours intéressant de comprendre comment et pourquoi ça fonctionne et ça peut nous trotter dans la tête !
On reconnait la spécialiste des biais cognitifs dans ton commentaire. Tu as raison, l’essentiel est là : comment ça fonctionne et et pourquoi ça nous trotte dans la tête ! Une piste pour un future article ! 🙂
je suis poète ! et j ai une préférence pour les rimes croisées j écris et je réécris des chansons ( 98 ) duanesarjec@gmail. com …. voici la votre
( la dame de haute savoie )
Je suis trop fatigué de souffrir
d un travail qui m écrase
je suis trop fatigué d entendre dire
toujours la même phrase
quand leur loi est voté sans débat
j ai toujours droit à un mur
en face de moi
ils sortent toujours le 49.3
il n est pas question de bosser
j ai le coeur qui se soulève
pas question d aller travailler
jusqu à ce que je crève
cette réforme moi je ne veux pas
c est bien trop inhumain
c est n’ importe quoi
ils sortent toujours le 49.3
cette réforme elle me court
mais ils restent sourds
avec leur langue de bois
moi j ai les glandes
de la mauvaise foi
c est trop indécent
d être pris pour un gland
et pour mettre fin au débat
afin de faire passer leur loi
qu importe les pleurs et les cris
c est bien dégueulasse
ils veulent nous faire travailler
jusqu à ce qu on trépasse
il y en a des millions comme moi
traités comme des chiens
ça leur suffit pas
ils sortent le 49.3
c est toujours le 49.3