Nous avons tous vibré, ce 26 juillet 2024, devant la magistrale interprétation de « Hymne à l’amour » par Céline Dion pour le final de l’ouverture des Jeux Olympiques de Paris.
Mais saviez-vous que ce chef d’œuvre n’est pas une chanson comme les autres ?
Car elle est structurée d’un façon bien particulière !
Je vous dis tout ici ! Mais d’abord, les paroles !
Les paroles de l’Hymne à l’amour » de Edith Piaf
COUPLET 1
Le ciel bleu sur nous peut s’effondrer
Et la Terre peut bien s’écrouler
Peu m’importe si tu m’aimes
Je me fous du monde entier
COUPLET 2
Tant qu’l’amour inond’ra mes matins
Tant qu’mon corps frémira sous tes mains
Peu m’importent les problèmes
Mon amour, puisque tu m’aimes
PONT
J’irais jusqu’au bout du monde
Je me ferais teindre en blonde
Si tu me le demandais
J’irais décrocher la Lune
J’irais voler la fortune
Si tu me le demandais
Je renierais ma patrie
Je renierais mes amis
Si tu me le demandais
On peut bien rire de moi
Je ferais n’importe quoi
Si tu me le demandais
COUPLET 3
Si un jour, la vie t’arrache à moi
Si tu meurs, que tu sois loin de moi
Peu m’importe si tu m’aimes
Car moi je mourrais aussi
COUPLET 4
Nous aurons pour nous l’éternité
Dans le bleu de toute l’immensité
Dans le ciel, plus de problème
Mon amour, crois-tu qu’on s’aime?
Dieu réunit ceux qui s’aiment
Carte d’identité de la chanson Hymne à l’amour
Auteure : Edith Piaf
Compositrice : Marguerite Monnot
Arrangeur : Albert Lasry
Année de sortie : 1950
L’histoire de « Hymne à l’amour » de Edith Piaf
Une grande histoire d’amour
1946, Edith Piaf est au sommet de sa gloire.
Elle effectue une tournée aux Etats-Unis. C’est là qu’elle rencontre un boxeur français : le beau Marcel Cerdan, champion du monde de boxe.
C’est son alter ego : Lui aussi a connu une enfance misérable, et ensuite la gloire à force de talent et de travail. Et entre les deux trentenaires c’est l’amour fou !
Pour Marcel, Edith écrit alors une magnifique chanson : « l’Hymne à l’amour ».
Pour la musique, elle fait appel à sa grande amie la géniale Marguerite Monnot, alias « La Guitte ».
Pour l’interprétation, c’est Yvette Giraud, artiste en vogue, qui est choisie.
Une fin tragique
La première fois que Edith Piaf chante sa chanson toute neuve, c’est le 14 septembre 1949 dans un cabaret de New York.
La chanson n’est pas pour elle, mais elle la « rôde » avant de la remettre à son interprète définitive.
Un mois plus tard, son amant Marcel Cerdan, qui est en France, embarque à bord du vol Air France 009 pour venir la rejoindre, .
Mais l’avion n’arrivera jamais.
Pris dans la tempête, l’avion s’écrasera dans la nuit.
Le soir même, Edith chantera de nouveau cette chanson tristement prémonitoire pour rendre hommage à son grand amour, Marcel Cerdan.
La recette de « Hymne à l’amour » de Edith Piaf
Une structure particulière
Cette chanson n’est pas construite d’une façon classique de type couplet/refrain. La structure est de quatre couplets, sans refrain, avec un long pont en plein milieu.
Ceci lui confère un rythme très particulier, comme si une seconde chanson était sertie dans le thème principal, comme s’il y avait deux chansons en une.
mais ce n’est pas tout !
Les Paroles
Un pont entre deux continents
On l’a vu, au milieu des 4 couplets de la chanson, se trouve un pont.
Un grand pont jeté entre deux moitiés, comme pour relier symboliquement les deux amants, coincés de part et d’autre de l’Atlantique.
Couplets et pont… chacune de ces deux entités développe un discours bien distinct :
Les couplets de « hymne à l’amour »
Les couplets d’une part : ils ont un caractère général, universel. Piaf y parle de l’amour, plus fort que tout, plus fort même que la mort.
Le pont de « hymne à l’amour »
Le pont d’autre part : il est plus personnel, plus intime. Plus concret aussi. Piaf parle d’elle-même et des actes de courage ou de renoncement qu’elle est prête à faire par amour.
Cette partie, au cœur de la chanson, est comme « protégée » par les couplets. On n’y entre pas instantanément, on n’en sort pas directement. Cela renforce le sentiment d’introspection, de mise à nu.
Des refrains intégrés
S’il n’y a pas de véritable refrain dans cette chanson, les couplets proposent un « refrain intégré ».
Un « refrain intégré », c’est une phrase ou une formule qui revient au début ou à la fin du couplet, comme un « mini refrain ».
Souvent, il s’agit simplement du titre de la chanson.
Ici, c’est « peu importe », suivi d’une rime en « aime » (ou ses variations) :
« Peu m’importe si tu m’aimes »,
« Peu m’importent les problèmes », etc…
Mais Piaf ne s’arrête pas là !
De la même façon, le pont, véritable « chanson dans la chanson », est lui-même constitué de 4 parties : 4 mini-couplets de 3 vers chacun.
Or chacun de ces mini-couplets contient lui aussi un refrain intégré.
C’est le fameux « si tu me le demandais » qui conclut chacune des 4 propositions.
Incroyable, non ?
Une rime orpheline
Enfin, pour évoquer sa propre mort, Edith Piaf utilise une « rime orpheline ».
Une rime orpheline, c’est une rime qui ne rime avec rien.
Euh, c’est un oubli ? Non, bien sûr ! C’est la volonté délibérée de souligner un effet de rupture.
Il s’agit de « car moi je mourrais aussi » qui ne rime pas avec « aime ».
La « vraie » rime en « aime » était pourtant facile : « car moi je mourrais de même », mais cela manquait de force.
La rime orpheline est une technique géniale et audacieuse, mais à utiliser avec délicatesse et parcimonie !
La musique
Une immense compositrice
Pour sa musique, Edith Piaf a fait appel à quelqu’un qu’elle connait bien : sa grande amie Marguerite Monnot, une surdouée avec qui elle collaborera durant 25 années ! Le duo Piaf/Monnot sera même le premier « vrai » tandem féminin d’écriture et de composition de la chanson française.
Un plagiat
Seulement voilà : talent ou pas, « Hymne à l’amour » est un plagiat !
Eh oui, Marguerite s’est trèèès largement inspirée d’une œuvre peu connue de Robert Schumann : Frühlingsnacht (Nuit de printemps).
A l’époque, cela passait inaperçu (surtout au printemps durant la nuit😉).
Le plagiat était une pratique en vogue. C’est même devenu une véritable mode dans les années 60.
Ecoutez un peu : dès les premières notes, on a déjà un doute, mais à 0:45 la cause est « entendue » !
Une orchestration symphonique
L’ambiance dramatique et universelle est renforcée par l’orchestration symphonique.
A quoi aurait ressemblé cette chanson sans cette orchestration ? Nul ne le sait…
Eh bien si, on le sait ! Car souvenez vous : cette chanson était promise au départ à une autre chanteuse ! Et croyez-moi, on l’a échappé belle !
On l’a échappé belle !
Edith Piaf ne devait pas chanter elle-même « Hymne à l’amour » : elle avait promis cette chanson à Yvette Giraud, une chanteuse française très réputée à l’époque.
Evidemment, le destin tragique de Marcel a changé les plans.
Mais en 1965, Yvette Giraud a tout de même enregistré la chanson… à sa façon !
Et là, on se dit que le destin est bien étrange ! Car dans la bouche de Yvette Giraud, « Hymne à l’amour » n’est rien qu’une bluette sympathique et totalement insipide.
Nul doute que cette chanson, qui est officiellement la « chanson francophone préférée des français », serait passée totalement inaperçue si Edith Piaf ne se l’était pas réappropriée. OUF !
L’hymne à l’amour par Céline Dion
Les jeux olympiques de Paris
Comment parler de « l’hymne à l’amour » sans évoquer la magistrale interprétation de Céline Dion pour l’ouverture de jeux olympiques de Paris ce 26 juillet 2024.
Effet de sidération
Le coup de maître ici a été l’effet de surprise : exit l’introduction symphonique, la voix démarre directement, créant un effet de sidération.
On ne sait pas encore qui chante.
Qui est donc ce point blanc dans la nuit ?
Certes Céline est en France, mais… elle est malade, et sa carrière est à l’arrêt depuis quatre ans.
Une performance olympique
Et là, on assiste à une résurrection. Et au-delà de l’émotion, une véritable performance physique ! William Sheller, qui déplore souvent (et à juste titre) que pour certain(e)s, « la chanson est devenue une discipline olympique », doit penser qu’ici, la formule prend son meilleur sens !
Vous prendrez un petit cachet ?
Quand on est malade, on prend un cachet, c’est connu.
Celui de Céline Dion serait de 2 millions d’euros !?!
C’est du moins la rumeur qui circule (il y a au moins quelque chose qui circule dans Paris). 😉
Et bien non : Céline Dion a touché exactement… zéro euro !
En revanche, et comme toujours, les frais de production technique et d’organisation ont été couverts par le CIO, les partenaires et la billetterie.
A vous de jouer
A votre tour de vous frotter à la technique du « refrain intégré ».
Je vous propose de trouver une formule, un gimmick, quelques mots, qui pourraient servir de refrain intégré à une chanson.
Par exemple : « je ne veux plus » en début de couplet, ou « reviens-moi » en fin de couplet.
N’écrivez pas une chanson : juste une formule !
Pas besoin de faire compliqué : quelques simples mots, qui excitent l’imaginaire, et qui pourraient même être un titre de chanson.
Et n’oubliez pas : écrivez votre idée en commentaire.
Pour aller plus loin
Vous avez votre formule ? Créez votre texte !
Puisque votre gimmick est pertinent, le reste viendra tout seul… enfin, avec un peu de travail tout de même ! Mais vous démarrez dans les meilleures conditions, puisque l’idée, vous la tenez déjà !
En conclusion
Il aura fallu un drame, et des circonstances fortuites pour que cette merveilleuse chanson ait le retentissement qu’elle méritait.
En chanson comme ailleurs, il suffit parfois d’une inflexion du destin pout tout faire basculer.
Je ne vous quitterai pas sans vous proposer la version irrévérencieuse de l’iconoclaste Jacques Dutronc, sur un texte de Serge Gainsbourg : « L’hymne à l’amour-moi-l’noeud »
Vive l’amour, et
Vive la Chanson !
Merci pour ce super article qui nous fait découvrir les dessous de ce grand classique ! Je ne savais pas qu’il y avait eu une autre version, et en effet on l’a échappé belle !
Ma proposition pour l’exercice, inspirée par la rumeur des 2M€ : « Faut pas croire tout c’qu’on dit »
Merci pour cet article ! Je découvre la technique du refrain intégré que je ne connaissais pas. Merci pour ces conseils qui nous aident à créer nos chansons !
Voici ma formule pour le « A vous de jouer » :
« Mais ça c’était avant »
Le « refrain intégré » est une technique à la fois simple et efficace. Bravo pour ton « mais ça c’était avant », avec lequel tu peux jouer sur toutes sortes d’ambiances ! Il ne te reste plus qu’à écrire la chanson qui va avec ! 😉
Merci pour cet article rempli d’amour.
Je ne savais pas que c’était la chanson francophone préférée des français. Elle me semble trop peu connue par rapport à d’autres chansons telles que « La vie en rose ». Mais maintenant que Céline Dion l’a chanté dans des circonstances si extraordinaires plus personne ne passera à côté de ces magnifiques paroles.
Pour l’exercice je ne suis pas très en verve, mais je ne me défile pas et je propose : « ça s’rait bien »
Bravo la Rousse du Bricolage de jouer le jeu ! Je trouve ton « ça s’rait bien » très porteur : on peut y faire entrer plein de choses, des plus anodines aux plus graves. C’est un chouette thème.
Quant à ton analyse du choix de la chanson, tu as tout à fait raison : tout le monde attendait « La vie en rose » par Aya Nakamura, et c’est « hymne à l’amour », bien plus profond, qui sort. Quel choix magnifique !
Je suis scotchée ! J’avoue que je ne suis pas fan de chanson française et je ne connaissais pas tout l’histoire derrière l’ »Hymne à L’Amour ». Mais cette analyse musico-littéraire, j’adore ! 😀
Allez, je joue le jeu ! Je te propose « Tu m’as dit » en début de couplet 😉
Merci pour ton commentaire, et bravo d’avoir joué le jeu ! « Tu m’as dit » est une excellente entame qui appelle plein de propositions… D’ailleurs cela n’est pas sans rappeler le « Elle m’a dit » de Mika. C’est un thème très riche ! 👍
Cet article est une plongée fascinante dans l’histoire et la structure unique de « Hymne à l’amour », un chef-d’œuvre intemporel d’Édith Piaf. J’ai particulièrement apprécié la manière dont tu dévoiles les subtilités de la chanson, de sa construction atypique à la tragédie personnelle de Piaf qui la rend encore plus émouvante.
La prestation récente de Céline Dion lors des Jeux Olympiques montre comment cette chanson continue de résonner même chez les nouvelles générations.🔔
Merci Sandrine pour ton gentil retour ! C’est vrai que cette chanson est un cas d’école. Et j’avoue avoir été bouleversé par la magnifique interprétation de Céline Dion.
J’ai adoré ce moment de la cérémonie des JO. Je connaissais l’histoire autour de cette chanson mais je découvre un autre aspect plus technique à travers ton article. Je suis surprise de lire qu’il s’agit également d’un plagiat. Très intéressant, merci !
Merci pour ton commentaire ! Passée l’émotion, cette chanson est riche d’enseignements pour les auteurs et compositeurs. Ça a été un magnifique moment !
Merci pour cet article. J’adore ces histoire et étude de chanson qui nous pousse à réécouter ou découvrir et à créer.
Merci Olivia pour ton commentaire ! C’est vrai que chaque chanson a sa propre histoire. Et le talent des grands auteurs est de savoir leur donner une universalité.
Cette chanson est magnifique ! Je me dis parfois que les paroliers, les compositeurs sont des génies. Trouver l’interprète idéale et c’est la recette complète de la réussite. Merci pour ta sensibilité que tu fais passer à travers tes articles.
Merci Jackie pour ce gentil commentaire ! J’ai le bonheur de travailler avec Claude Lemesle et une communauté d’Auteurs Compositeurs Interprètes, et je te le confirme : il y a des génies dans le milieu de la chanson ! Ils cumulent intelligence, sensibilité et technique. Un régal !
Incroyable article! J’ai appris beaucoup de choses, c’est passionnant de découvrir les coulisses d’une chanson. J’aime la manière dont tu y glisses des infos théoriques sur la structure de la chanson en les rendant accessibles!
Pour le petit jeu, je dirais :
» Si j’osais…. » En début de phrase 😉
Merci Stéphanie pour ce gentil retour. C’est vrai que cette chanson est un cas d’école ! Et bravo pour ton gimmick ! « Si j’osais » je te dirais qu’il ne te reste plus qu’à écrire une chanson ! 😉
Merci Denis pour toutes ces infos et sur l’histoire de cette chanson mythique, je découvre la façon peu commune dont l’écriture a été réalisée.
Merci Pascal pour ton retour ! C’est vrai, l’écriture des chansons est souvent une « histoire dans l’histoire », qui éclaire différemment chaque oeuvre. On a souvent des surprises en la découvrant !
Merci pour cet article ! Quelle chanson et quelle artiste !
Merci Edouard ! Quelle artiste en effet ! On s’en aperçoit quand on compare avec la prestation bien moins éblouissante de Yvette Giraud !
La chanson est vraiment magnifique, et l’interprétation aux JO était exceptionnelle. Mais l’histoire qui va avec cette chanson (que je ne connaissais pas) est très triste… Paradoxalement, cela rend les paroles encore plus belles. Merci pour l’explication détaillée de la technique et de la structure ; je suis toujours étonnée par la complexité qui se cache derrière une « simple » chanson !
L’histoire de cette chanson si particulière est effectivement puissante et dramatique. On peut remercier Céline Dion d’avoir su la servir si magnifiquement !