« Je veux vous partagééer ma douleuureuu… »
Aïe ! Aïe ! Aïe ! Mission accomplie !
En chanson, comme dans la vie, la banalité nous guette à chaque coin de mesure.
Entre les mélodies éculées, les facilités qui rassurent, les émotions mal maitrisées, il y a de quoi faire !
Et tout ça, ça donne de chouettes chansons bien fades, aussi insipides qu’interchangeables.

Alors, comment éviter de tomber dans ces travers ? On va tenter de sauver l’essentiel, en déjouant cinq pièges dans lesquels tombent beaucoup d’auteurs-compositeurs…
Allez, suivez-moi, je vous montre tout ça… et regardez où vous mettez les pieds, ça glisse !
1. Les « quatre accords magiques »
Ah, ben alors faudrait savoir !
Oui, je sais : je vous ai chanté les louanges de cette fameuse suite d’accords, et maintenant je vous dis de vous en méfier.
Pourtant, le fameux enchaînement I–V–vi–IV (en Do : C–G–Am–F), utilisé de Let It Be à Someone Like You, a fait ses preuves.
Et c’est bien ça le problème : trop de preuves ! 😀
Résultat : il est devenu une autoroute musicale où défilent des milliers de chansons, toutes cousines germaines.
Et pourtant, ça marche ! Du moins, ça eut marché.
Comme disait Fernand Raynaud : « Ça eut payé, mais ça paye plus ! ».
À moins de dégainer un habillage instrumental de l’espace ou une mélodie d’un autre monde, la recette sonnera… creux !
👉 Conseil : explorez d’autres renversements, changez de tonalité, osez des accords inattendus. L’oreille du public aime être surprise.
2. Le nombrilisme
Autre piège fréquent : raconter ses petits malheurs, et surtout, en écrivant uniquement à la première personne !
Moi, moi, moi, je, je, je, Moi je !
Toi T’es toi, tais-toi !
On n’en peut plus de ces chansons qui étalent les peines de cœur, les tracas du quotidien ou le spleen existentiel de leur auteur.
Le pire, c’est que le problème, ça n’est pas le fond (les émotions personnelles, c’est un excellent moteur pour écrire une chanson), mais plutôt l’angle choisi : un bon gros premier degré bien direct, sans filtre, sans recul et sans mise en scène. Pitié !
J’en ai déjà parlé dans un autre article : une chanson n’est pas un journal intime.
Le public ne va pas adhérer pas parce que vous souffrez, mais parce qu’il se reconnaît dans votre souffrance.
C’est une nuance fondamentale !
👉 Conseil : transformez votre vécu en métaphores, en histoires, en personnages. Souchon, Bénabar, Vianney partent de leurs émotions intimes… mais ils les habillent avec du sur-mesure.
3. Monorimes et octosyllabes
Dans la forme de l’écriture de chanson, on retrouve hélas de nombreux tics et stéréotypes, mais les deux plus répandus sont sans conteste la monorime et l’octosyllabe à la chaîne.
Et la plupart du temps, ce n’est pas par choix artistique, mais par facilité !
– La monorime (toutes les fins de vers identiques) à qui nous avons consacré un article est souvent lié à la paresse ou à l’inexpérience de l’auteur.
– L’octosyllabe régulier quant à lui donne une impression de fluidité… heu non : surtout de facilité. Un phrasé un peu soporifique qui tourne en rond.
Bla-bla-bla-bla, bla-bla-bla-bla,
Bla-bla-bla-bla, bla-bla-bla-bla.
Un ronron sans surprise qui nous endort…
👉 Conseil : jouez avec les métriques, variez les rimes, introduisez du contretemps. La chanson, comme la danse, a besoin de surprises rythmiques.
4. Le déjà-entendu
Même quand elles n’utilisent pas les « quatre accords magiques » cités plus haut, beaucoup de mélodies se contentent de monter la gamme puis de la redescendre, avec des refrains prévisibles et des cadences toutes faites.
Résultat : on a une impression de « déjà entendu », même si la chanson est inédite.
Et c’est humain : nous avons tous notre « univers », auquel nous nous référons… un peu trop !
Surtout que la plupart du temps, il est un peu étroit et qu’on évolue tous dans le même !
👉 Conseil : écoutez en dehors de votre zone de confort (chants traditionnels, musiques du monde, jazz modal…). Cela vous inspirera naturellement de petits emprunts mélodiques à « l’ailleurs », et vos chansons trouveront un souffle neuf.
5. L’universel vague et interchangeable
« L’amour est beau », « La vie est dure », « On veut être libres »…
Ne rigolez pas : je suis sûr que vous avez déjà écrit des trucs de ce genre, non ?
N’ayez pas (trop) honte : ces thèmes vagues et génériques ont rempli des milliers de refrains.
Pire encore : les enfonceurs de portes ouvertes le font souvent en utilisant des mots compliqués. Un verbiage d’autant plus insupportable qu’il est souvent mal maîtrisé.
Hé oui : le problème, quand on cherche à dire quelque chose de « fort » mais de trop large, c’est que ça tombe immanquablement dans les grands poncifs soporifiques, voire même énervants !
Il faut être plus modeste et cibler des petites choses.
👉 Conseil : osez la précision. Préférez « Je t’ai attendue à la sortie du métro » à « J’ai passé toute ma vie à attendre en vain un bonheur qui ne vient pas ».
C’est le détail qui touche, pas la phrase explicative.
À vous de jouer !
Prenez un de vos textes ou une de vos mélodies et posez-vous 3 questions :
1. Suis-je tombé dans l’un de ces cinq pièges ?
2. Ha flûte oui ! Mais lequel ?
3. Bon on fait quoi maintenant ?

Alors au travail :
Retouchez uniquement la partie concernée :
Pour un texte, réécrivez une strophe.
Pour une musique changez un enchaînement d’accords.
Vous verrez : un simple petit crochet hors de la banalité va vous ouvrir de nouveaux (et grands (et beaux)) horizons !
Avant de se quitter…
Je vous rappelle que vous pouvez rejoindre le groupe facebook des Auteurs, Compositeurs et Interprètes francophones de l’Académie de la Chanson. Il suffit de cliquer ici.

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Vous pourrez y retrouver nos articles, publier vos oeuvres, échanger, et trouver des conseils.
En conclusion : quittez l’autoroute et tracez votre chemin
Toutes les vieilles recettes ont longtemps fonctionné, c’est vrai.
Elles ont même parfois fait naître quelques grands succès.
Et c’est bien ça, le problème : elles sont devenues des raccourcis tellement usés qu’elles conduisent tout le monde au même endroit !
Voyons cela comme une chance : puisque tant d’autres avant nous ont utilisé ces recettes, inventons-en de nouvelles !
Notre public a envie d’expérimentation, pas de copie.

Alors, sortez des sentiers (re)battus. Prenez des risques.
Et souvenez-vous que dans l’art, comme dans la vie, la banalité est toujours l’option la plus facile…
mais jamais la plus intéressante.
Vive l’exploration et
Vive la Chanson !
Ressources :
Pour trouver des idées, vous pouvez aller lire ceci : « Ecrivez des chansons originales »
ou cela : « Trouvez des idées originales »
et bien sûr, vous pouvez vous inspirer des analyses de chansons de la rubrique « On connait la chanson »
Merci Denis pour cet article, c’est vrai que l’on a de plus en plus souvent l’impression de déjà vu. Est-ce un problème de sampling trop fréquent ou d’âge qui avance…
Merci pour ces conseils avisés
Cher Freddy, j’ai une mauvaise nouvelle : tu vieillis 😉 et donc tu as de plus en plus de références ! Certains « jeunes » auteurs qui sont persuadés d’avoir réinventé la roue n’imaginent pas un instant (souvent par manque de rigueur) que leurs idées « nouvelles » ont déjà été maintes fois portées.
Cher Freddy, j’ai une mauvaise nouvelle : tu vieillis 😉 et donc tu as de plus en plus de références ! Certains « jeunes » auteurs qui sont persuadés d’avoir réinventé la roue n’imaginent pas un instant (souvent par manque de rigueur) que leurs idées « nouvelles » ont déjà été maintes fois portées.
Écrire sur le banal est mon lot quotidien lorsque j’écris des Haiku. On dit du Haiku qu’il a cette propension à saisir le banal sans être banal. Il s’agit de voir les mystères du monde en se laissant surprendre par sa beauté. Pour moi, cette question du banal doit nous mener à penser notre capacité à l’émerveillement: savons-nous vraiment nous émerveiller des choses simples?
Merci d’avoir pointer du doigt cette difficulté à dire les choses simples, simplement.
Rester simple, voilà un objectif compliqué ! C’est l’essence même de la chanson, et plus encore du Haiku. Aller au but, aller au coeur en n’utilisant que quelques mots. C’est un défi magnifique !
Super article ! J’ai particulièrement aimé le passage sur le nombrilisme : c’est tellement vrai qu’une chanson n’est pas un journal intime. Depuis que je transforme mes émotions en petites histoires ou en images, mes textes touchent beaucoup plus mon entourage. Merci pour ces rappels précieux !
C’est un ecueil courant chez les « jeunes » auteurs : ils ont des choses à dire, et ils pensent davantage à eux-mêmes qu’à leurs auditeurs ! C’est un passage (presque) obligé !
Encore un super article vraiment chouette à lire. Tu nous invites constamment à sortir de nos habitudes (de composition, d’écriture, mais aussi d’écoute…), parce que c’est vrai que la création est par essence un terrain glissant vers le pastiche inconscient !
Concernant le bon vieux premier degré, je pense aussi aux deuxième ou troisième degrés éculés, vus et revus (ton 4ème piège). En tant qu’auditrice c’est ce qui me hérisse le plus🦔, même si le piège n°1 attire un peu beaucoup de jeunes (et quand on a vu passer plusieurs vagues, on se sent bien seule…)
Merci Eva, on voit que c’est l’expérience qui parle ! J’avoue que je n’avais pas pensé aux 2è et 3è degrés vus et revus ! Quant à ta remarque sur la création, j’en prends bonne note ! Je me suis beaucoup interrogé sur les processus créatifs, surtout quand l’objectif final est de les offrir à un public (je ne parle donc pas de la pure expérimentation), et la ligne est étroite entre le trop et le trop-peu !