« On va s’aimer » a défrayé la chronique pour des raisons bien éloignées de la musique : accusés de plagiat, Gilbert Montagné et Didier Barbelivien ont été condamnés en octobre 2024 à verser 1,6 millions d’Euros à un obscur inconnu.
Alors ? Véritable plagiat ou opération juteuse ? Je vous dis tout dans cet article !
Mais d’abord, les paroles !
Les paroles de « On va s’aimer »
COUPLET 1
On va s’aimer
À toucher le ciel
Se séparer
À brûler nos ailes
Se retrouver
Comme les hirondelles
On va s’aimer
Tellement tu es belle
On va jeter
Les clés d’la maison
On va rêver
À d’autres saisons
On va quitter
Ces murs de prison
REFRAIN
On va s’aimer
Sur une étoile ou sur un oreiller
Au fond d’un train ou dans un vieux grenier
Je veux découvrir ton visage
Où l’amour est né
On va s’aimer
Dans un avion, sur le pont d’un bateau
On va s’aimer à se brûler la peau
À s’envoler, toujours, toujours plus haut
Où l’amour est beau
COUPLET 2
On va s’aimer
Aux marches des églises
Se réchauffer
Au cœur des banquises
Se murmurer
Toutes ces bêtises
On va s’aimer
J’aime que tu dises
On va partir
Au bout d’une île
Pour découvrir
L’habit fragile
Se découvrir
Amoureux encore
REFRAIN ad lib
Carte d’identité de la chanson
D’habitude, cette partie de l’article est la plus simple : on y trouve qui a fait quoi et puis voilà.
Mais cette fois-ci, c’est ici que les ennuis commencent !
Année de sortie : 1983
Auteur : Didier Barbelivien
Compositeur : heu… ben… Gilbert Montagné ? Et peut-être Gianni Nazzaro ? Ou plutôt Michel Cywie ?
Et si on écoutait avant de trancher ? Il parait que la musique adoucit les moeurs ? Tu parles !
L’histoire de « On va s’aimer »
Gilbert Montagné, c’est le Mozart de la pop, en mieux.
Déjà, contrairement à pas mal de stars, il est issu d’une famille modeste.
Gilbert est un bébé prématuré. Il est donc placé en couveuse à la naissance.
Seulement voilà, les médecins se plantent dans les réglages et envoient un « air » trop oxygéné. Résultats : ses yeux sont brûlés et il deviendra aveugle !
Le moins que l’on puisse dire est que Gilbert ne démarre pas avec toutes les chances de son côté !
Et pourtant ! Son enthousiasme et son génie musical, mis au service de la pop, lui permettent d’enregistrer son premier disque à 16 ans, d’accompagner ensuite les plus grands musiciens, puis d’enregistrer à 19 ans le tube planétaire « The Fool » (700.000 exemplaires).
Il enchaine trois albums prestigieux dans la foulée. Tout cela va très vite !
Trop vite pour Gilbert qui choisit de fuir cette notoriété étouffante pour retrouver un peu d’anonymat aux USA.
En 1979, c’est le tôlier, Johnny Hallyday en personne qui revient le chercher ! Il le veut comme pianiste.
Parce qu’à ce moment-là, Gilbert Montagné, on se l’arrache ! C’est un instrumentiste génial.
Mais pas que ! Il est aussi un compositeur hors pair : musiques de films, musiques de pub (l’ami Ricoré, c’est lui !), rien ne lui résiste !
La suite, on la connait : revenu sur le devant de la scène, il enregistre en 1984 « On va s’aimer ». Il a 34 ans.
Et là, rebelote ! c’est le tube ! 700.000 exemplaires vendus rien qu’en France ! La chanson passe dans toutes les discothèques et devient disque d’or.
Seulement voilà… Un certain Gianni Nazzaro avait sorti en 1977 une obscure chanson intitulée « Une fille de France », dont le refrain ressemble (en moche) à celui de Gilbert Montagné.
Vous ne connaissiez pas Gianni Nazzaro ? Ben moi non plus !
Pour la peine, je vous propose de découvrir ce chef d’oeuvre ! Notez la position des sourcils et la serviette de table à pois en guise de cravate !
Bon, je vous passe le détail de la bataille judiciaire franco-italienne qui s’ensuivra, mais voici quelques faits :
En 2003, Gilbert Montagné, qui s’est aperçu entretemps de l’existence de « Une Fille de France » se dit :
« Ah ben flûte alors ! Je ne voudrais pas qu’on me pique ma chanson (il avait déjà été copié sans autorisation pour une pub Flunch toute pourrie) je vais protéger ma création ! »
Manque de chance, c’est l’inverse qui se produit : c’est lui qui se retrouve accusé de plagiat ! 😲
Une bataille juridique s’ensuit, et après bien des péripéties il est finalement privé de ses droits d’auteur en octobre 2024 (1,67 millions d’euros quand même, ça pique un peu !).
Mais rassurez-vous, la saga n’est pas terminée, il va aller en cassation ! à suivre…
C’est la guerre de 100 ans cette histoire !
Le plus rigolo là dedans, c’est que Didier Barbelivien, auteur des paroles de « On va s’aimer », était aussi co-auteur des paroles de « Une fille de France ». Malin le Didier ! 😜
La recette de « On va s’aimer »
« On va s’aimer » côté paroles
On ne va pas se mentir : « On va s’aimer » n’est pas une chanson à texte.
Barbelivien y parle de l’amour universel, en jouant sur l’ambigüité entre amour charnel et sentiment amoureux. Et bien que le texte soit assez basique, ce double récit est vraiment bien vu ! On ne sait jamais vraiment s’il est question d’une grande histoire d’amour ou tout simplement d’amour physique. En cela le texte s’adresse à tous.
Ce sentiment est renforcé lorsque Barbelivien énumère des lieux chargés de symboles, en passant du quotidien à l’universel « sur une étoile ou sur un oreiller ».
Cela n’empêche pas quelques lourdeurs de style à la limite du hors-jeu :
« On va s’aimer tellement tu es belle » Hum vous vous voyez dire ça à votre chéri.e, vous ? Essayez, juste pour voir 😂
« On va quitter ces murs de prison » Mouais… efficace à défaut d’être léger.
« Je veux découvrir ton visage où l’amour est né » Heu… Découvrir ton visage où l’amour est né… c’est moi ou ça ne veut rien dire ?
« J’aime que tu dises. » Certes, mais…
…que tu dises quoi au juste ? Parce que là, on n’a pas la réponse vu que la phrase s’arrête ici.
A l’origine, on imagine que cela devait enchainer sur un nouveau « on va s’aimer » mais lors du montage des couplets, notre Didier national a dû donner un coup de ciseau malencontreux.
« Découvrir l’habit fragile » Je dois être fatigué mais là je n’ai pas tout compris.
Après avoir arraché le petit caraco, il bataille avec le soutien-gorge, c’est ça ? 🤨
Bon c’est pas beau de se moquer.
Globalement, ce texte, c’est vraiment du Barbelivien. Pas très classe, pas très français, mais au final diablement efficace !🧛
« On va s’aimer » côté musique
L’harmonie de « On va s’aimer »
La recette est simple, et parfaitement maîtrisée : Gilbert Montagné va créer une tension dans les couplets en restant sur un La mineur, et tout faire exploser dans les refrains avec du Do majeur.
La mineur, Do majeur… Ça ne vous rappelle pas quelque chose ?
Ben si, forcément ! Si vous ne voyez pas de quoi je parle, lisez mon article sur les accords majeurs / accords mineurs !
La mélodie de « On va s’aimer »
Voilà pour l’harmonie, mais côté mélodie, Gilbert Montagné n’est pas en reste : il ne joue que quelques notes, toujours les 4 mêmes : do ré mi fa !
Sans aucune variation, en suivant tout simplement les accords… et la même chose en partant du si puis du la…
Cela crée un effet de répétition et de tension. Simple et efficace !
Le rythme de « On va s’aimer »
Le rythme enfin, très syncopé (contrairement au soporifique « une fille de France »), relance perpétuellement la dynamique. C’est particulièrement flagrant sur les fins de « phrases » :
– Dans les couplets, on « enfonce des clous » : les syllabes sont SUR les temps.
Quand Montagné dit « Tou-cher – le – ciel » ou « Brû-ler – les – ailes »
– Dans les refrains au contraire, on est « en l’air » sur toutes les dernières syllabes : les syllabes sont ENTRE les temps.
« sur un oREIL – LER » ou « un vieux GRE-NIER » et bien sûr « où l’amouR’ EST – NE »
Ces relances, qui font toute l’énergie de la chanson en français, sont complètement ratées sur la version anglaise « Just for tonight » (pourtant écrite aussi par Barbelivien).
Hé oui : l’accent tonique mal compris, et les syllabes imprononçables « Just For To(night) » détruisent la dynamique dès l’entame du refrain.
Next.
« On va s’aimer » : Plagiat ou pas plagiat ?
Pour répondre, il suffit de se poser une simple question :
Pourquoi « On va s’aimer » est devenu un tube international alors que « Une fille de France » est restée dans l’ombre ?
Est-ce à cause de cette suite d’accords extrêmement connue ?
Do Fa Sol Mim Lam Rém Mi
…tellement connue qu’on la retrouve dans de nombreux titres ?
NON, naturellement.
Est-ce par la ligne mélodique, elle aussi archi-connue ?
do ré mi mi, do ré mi fa mi ré do ré…
Bien sûr que NON !
Rien de tout cela : le secret, c’est la rythmique époustouflante de Gilbert Montagné qui fait trembler les dancefloors !
Et oui, ce sont les mêmes notes !
Mais Montagné les fait danser dans des syncopes perpétuelles et des phrasés endiablés, là où Gianni Nazzaro se contente de les aplatir dans un déroulé soporifique. 😴
Aucun plagiat selon moi. Du pur Gilbert Montagné au contraire !
On retrouve dans « On va danser » tout ce qui faisait déjà le génie de Gilbert Montagné dès ses premiers titres, n’en déplaise aux médiocres héritiers avides de royalties.
Pour un peu, ils l’auraient accusé d’avoir piqué l’idée des lunettes noires ! 😎
D’autres exemples de « plagiats »
Nombreux sont les artistes restés dans l’ombre qui ont accusé de plagiat leurs petits copains plus inspirés qu’eux, en vue de grignoter une part du gâteau.
Nombreux aussi sont les artistes injustement accusés qui, par lassitude, ont préféré « avouer » un plagiat imaginaire plutôt que se lancer dans des procédures interminables.
Des exemples ?
On pense bien sûr à Gotye qui a dû reverser 45% de ses royalties aux héritiers de Luis Bonfá (déjà mort depuis 10 ans) pour un sample plus que discutable.
Mais il n’est pas un cas isolé : il y a aussi Calogero pour « Si seulement je pouvais lui manquer », Ed Sheeran pour « Shape Of You », Led Zeppelin pour « Stairway To Heaven »… pour n’en citer que quelques-uns !
Je détaillerai tout cela dans un prochain article. 🤗
On observera que souvent, ce ne sont pas les artistes eux-mêmes qui se plaignent aux tribunaux, mais leurs héritiers… on a le talent qu’on peut !
Pour en finir, rappelons que Gilbert Montagné, qui n’a pas besoin qu’on lui tienne la main pour composer, était aux Etats-Unis lorsque « Une fille de France » est sortie, et qu’il lui aurait suffi de changer une ou deux notes pour échapper à l’accusation.
La réalité est qu’il ne connaissait même pas l’existence de cette chanson… et que personne d’autre ne la connaissait d’ailleurs !
A vous de jouer !
Eh bien justement :
à vous de jouer les plagiaires !
Je vous propose un petit jeu coupable.
Prenez la suite d’accords de « Une fille de France » :
Do Fa Sol Mim Lam Rém Mi (fastoche : elle n’utilise que les touches blanches sauf pour le Mi final).
Jouez-la.
En ne changeant que quelques notes, faites une copie de cette chanson qui ne soit pas identifiable.
Vous pouvez vous inspirer de cette vidéo (allez directement à 9 :10)
Et ne soyez pas complexé : vous ne pourrez pas faire pire que l’original !
En conclusion
En occident, la musique, c’est 12 notes, en comptant les dièses et les bémols. (plus les notes à l’octave). A titre de somparaison, notre alphabet ne compte 26 lettres (plus les lettres accentuées).
Avec ces 12 petites notes, nombre de chefs d’œuvres de la musique ont été créés. Moi je trouve ça incroyable !
Mais il en est des notes comme les mots : Il est impossible de ne pas tomber sur une séquence qui existe déjà ! C’est normal !
Si on commence à accuser de plagiat tous ceux qui utilisent une séquence de notes, d’accords ou de lettres, on n’a pas fini ! Seules des IA auront des chances de pondre des œuvres aussi inintelligentes qu’inédites.
Alors ?
Alors continuons de composer nos chansons sans nous soucier des jaloux ! Ne nous limitons pas, et tant pis si certains grincheux y trouvent à redire !
Bonnes créations originales, et
Vive la Chanson !
Merci pour ces informations truculentes. J’aime beaucoup apprendre l’histoire de chansons qui ont marqué notre histoire.
Tu as raison : chaque chanson a son histoire… et cette fois-ci hélas, on s’en serait bien passé ! 😉
Quelle histoire !
Rien n’est plus original, il n’y a que de l’inspiration. Il reste à l’admettre.
Merci pour cet article et merci Gilbert pour faire danser encore aujourd’hui
Merci pour ton commentaire ! Gilbert nous fait danser et les avocats le font chanter ! La boucle est bouclée ! 😉
Merci pour cet article qui éclaire une dimension fascinante de la création. Pour ma part, je vois souvent ces ‘coïncidences’ comme quelque chose qui relève de l’énergétique, une sorte de vibration commune qui traverse nous traverse… Ce phénomène me semble plus lié à une énergie collective ou une intuition partagée qu’à une notion de plagiat. C’est comme si certaines idées flottaient dans l’air, prêtes à être captées par plusieurs esprits sensibles à une même fréquence. Merci pour cette histoire époustouflante ! 🎶
Merci Sylvie pour ce retour. Je partage en grande partie votre approche, qui est celle de stoïciens : l’inventeur ne fait que révéler ce qui existe déjà.
Une chanson qui me rappelle des souvenirs ! Je n’avais jamais trop fait attention aux paroles, mais en effet, il y a des passages un peu bizarres qui ne veulent pas dire grand-chose ^^
Merci Katell ! Comme on est la plupart du temps un peu « joyeux » quand on l’écoute, il est vrai que cela passe assez inaperçu ! 😀
J’ai été très sensible à ta comparaison avec les mots.
Je suis certaine que l’on trouve nombre de poèmes avec la même suite de 6 à 8 mots.
Sans être une fan de « on va s’aimer » et de Gilbert Montagné cette histoire de soi-disant plagiat me révolte, on se dit que personne n’est à l’abri.
PS : j’adore le « On va s’aimer, Tellement tu es belle ». qui ressemble à s’y méprendre à « comme t’es bonne. On nique ? » 🤣😂🤣
Il est bien rare que les artistes soient des plagiaires. Surtout ceux qui ont fait leurs preuves depuis longtemps ! Mais n’importe qui, armé de mauvaises intentions, peut trouver des passages identiques n’importe où. La suite est une question d’avocats convaincants…
Très agréable à lire cet article ! Et j’aime bien le ton que tu utilises (il me fait rire). En plus je ne connaissais pas ces histoires ! C’est fou ! Merci pour ce moment.
Je le dis souvent : chaque chanson a son histoire ! Et j’adore découvrir (et faire découvrir) ce qui se cache derrière les titres qui nous font vibrer !
Cet article m’a rappelé de merveilleux souvenirs. En le lisant, je me suis replongé avec nostalgie dans un séjour en Italie, où, avec mes camarades de CM2, nous écoutions cette chanson de Gilbert Montagné en boucle dans le bus. C’était une période magique, et cette chanson a marqué nos esprits. Elle nous accompagnait partout et est devenue, pour moi, une véritable bande-son de cette aventure. Elle me rappelle les rires, les découvertes, et l’insouciance de ces moments partagés. Un souvenir précieux que je garderai toujours en mémoire.
Wouah ! Ravi de t’avoir permis de retourner par la pensée dans une période heureuse ! J’adore moi aussi cette chanson ! Et j’adore l’effet magique de « voyage dans le temps » que permettent certains titres qui ont marqué une période de notre vie !
Merci Denis pour cet article très passionnant 🙂
Ayant entendu parler de cette affaire de manière assez vague, j’ai pris beaucoup de plaisir à lire les détails dans ton article.
Effectivement, les paroles de la chanson sont parfois un peu incohérentes, mais le rythme des notes, la voix de Gilbert, et l’énergie qu’il y met en font un mélange diablement efficace. C’est sans doute pour cela que cette chanson traverse les années, contrairement à « Une fille de France »…
Je pense qu’on n’a pas fini d’entendre parler de cette histoire de plagiat. Ce n’est ni la première ni la dernière dans le domaine de la musique 🙂
Merci Jérémy pour ce retour ! Les « affaires » de plagiat sont hélas souvent assez ridicules. La plupart du temps, les compositeurs accusés n’ont nullement besoin d’aller copier leurs petits camarades moins talentueux qu’eux. Il s’agit le plus souvent de simples coïncidences.