La musique en Tchétchénie, ça peut se révéler dangereux. Mieux vaut bien respecter la partition !
Musique sous contrôle en Tchétchénie
Ramzan Kadyrov, vous connaissez ? Le président autoritaire et alcoolique de la Tchétchénie, fidèle toutou de Poutine, vient de se lancer dans la musique… du moins à sa manière, la seule qu’il connaisse : la répression et la censure.
Jamais à court d’idées, notre despote musical vient de sortir son dernier chef-d’œuvre : une censure rythmique orchestrée par le ministre de la Culture, Moussa Dadayev.
Excès de musique en Tchétchénie
A compter du 1er juin 2024, toutes les musiques en Tchétchénie devront justifier d’un tempo contenu entre 80 et 116BPM.
Vous avez bien lu : il sera désormais interdit d’écouter de la musique en Tchétchénie si le tempo n’est pas compris entre 80 et 116 pulsations minutes !
Cette décision annoncée début avril 2024 n’a rien d’un poisson d’avril 🐟 !
Tempo ma non troppo
N’allez pas croire qu’il s’agit d’une nouvelle lubie de Ramdam Ramzam ! Cette décision de censurer la musique en Tchétchénie résulte d’une étude scientifique !
Enfin… de la science à la sauce soviétique, naturellement !
C’est le ministre de la culture en personne, Moussa Dadayev, qui a été chargé (pour ce qui est d’être chargé, on peut lui faire confiance !) de définir le style de musique qui correspond vraiment à la « mentalité tchétchène » avec pour mission de rendre obligatoire la musique « conforme aux coutumes, aux traditions, à l’éthique et à la morale de la Tchétchénie ». Tout un programme !
Et voilà le verdict : désormais, en Tchétchénie, il faudra danser au rythme d’un métronome réglé entre 80 et 116 battements par minute, faute de quoi la danse se transformera en contredanse ! On remplacera le métal par la tôle !
Musique sous contrôle en Tchétchénie
En Tchétchénie, deux types de musique sont ciblés : les musiques langoureuses qui ramollissent l’esprit et incitent à la débauche, et les musiques électroniques, qui par une troublante coÏncidence sont beaucoup consommées par la communauté gay… du moins ceux qui n’ont pas encore été emprisonnés !
Ces deux styles sont également représentatifs de la « décadence de l’Occident ».
Dadayev le sinistre ministre l’a bien dit : « Il est inadmissible d’emprunter la culture musicale d’autres peuples ».
Avec un tel esprit d’ouverture, on risque de s’enquiquiner grave en discothèque !
Et pas moyen de se consoler en écoutant du classique : les adagios, largo et larghetto de la musique classique se situent tous en deçà des 80Bpm !
D’ailleurs sur le fond, le raisonnement du dictateur se tient : le tempo a une influence sur la perception de l’œuvre musicale et de l’esprit qui s’en dégage, comme le sentiment de liberté par exemple… J’en parlerai dans un prochain article.
Concrètement, 80 à 116 BPM, ça fait quoi ?
80 BPM
80 BPM (battements par minute, ça donne ceci :
116 BPM
et 116, ça donne ça :
Si vous êtes entre les deux, c’est bon ! Roule Kady !
Pour ceux qui ne sont pas dans les clous, Kadyrov est quand même sympa : les artistes tchétchènes ont jusqu’au 1er juin 2024 pour réécrire leurs morceaux façon « Musique Tchétchène ».
Il faudra vivre avec son temps… ou mourir avec son tempo !
Un peu de signalétique
Comme l’affaire est un peu compliquée, l’Académie de la Chanson a des propositions pour simplifier la vie du dictateur mélomane et lui éviter de trop surcharger ses prisons.
Des panneaux indicateurs
Pour que les musiciens puissent s’y retrouver lors des Ram’Zam’Jams de musique en Téchétchénie, je propose d’installer des panneaux de limitation de tempo sur les scènes tchétchènes.
Des métronomes pédagogiques
Les ingés-son tchétchènes pourraient aussi équiper les studios de répétition de musique de métronomes avec limiteurs afin de modérer les éventuels emballements de musiciens trop enthousiastes.
Un label de conformité
Enfin, les musiques tchétchènes qui respectent la norme en vigueur pourraient se voir délivrer un label KK « Kadyrov Kompatible » garantissant la qualité du produit… et la vie du consommateur !
Petite note technique à l’attention des truands
« La justice militaire est à la justice ce que la musique militaire est à la musique », disait Georges Clémenceau. On peut remercier Dadaïev d’avoir fait la jonction entre ces deux domaines, entre tube de l’été et tube de bazooka !
Et pourtant, comme toutes les lois, celle-ci peut être contournée. Encore une fois, ce sont les mathématiques qui vont venir à notre rescousse : Voici la formule magique de Kadyrov :
80 ≤ KK ≤ 116 (où l’unité est le BPM)
Comment contourner la loi ?
En remplaçant les noires
On peut remplacer les noires par des croches pour ralentir artificiellement le tempo :
La vitesse maxi est 116 à la noire ? Utilisons des croches !
116 : 2 = 58. On peut donc s’autoriser des tempos en dessous de 58 !
On peut aussi remplacer les noires par des blanches pour l’accélérer artificiellement aussi :
La vitesse mini est 80 ? Repeignons-les en blanches ! 80 x 2 = 160.
On peut donc jouer au dessus de 160 !
Seuls sont donc encore éliminés les tempos de 58 à 80, et de 116 à 160
Voici la nouvelle formule de Kadyrov V2.0. :
KK ≤ 58 U 80 ≤ KK ≤ 116 U 160 ≤ KK
En jouant sur la marge d’erreur
Mais ce n’est pas tout ! Si les radars musicaux sont comme les radars routiers, la vitesse retenue bénéficiera d’une marge de 5% d’erreur en votre faveur (même en dictature on sait parfois se montrer magnanime) ! Et voilà la version définitive de la FORMULE DE KADYROV :
KK ≤ 58(100+5)/100 U 80(100-5)/100 ≤ KK ≤ 116(100+5)/100 U 160(100-5)/100 ≤ KK
En résumé
Finalement, à part ce qui est entre 61 et 76BPM et entre 122 et 152BPM, vous pouvez tout jouer !
Le slow et la techno Hardcore reviennent même dans la course !!!
Mais bon je me demande si je ne surestime pas un peu l’intelligence des dirigeants tchétchènes sur ce coup-là.
OUPS !
Aïe ! Il y a quand même une composition qui pose un gros problème :
celle d’Aleksandre Aleksandrov, compositeur de Государственный гимн Российской Федерации.
Vous ne connaissez pas ??? C’est l’Hymne national de Russie, dont fait partie la Tchétchénie, et qui ne plafonne qu’à 71 Bpm. Même avec les aménagements présentés ci-dessus, ça ne passe pas !
Pour le coup, Ramzan Kadyrov, « le fidèle fantassin de Vladimir Poutine », a peut-être fait une gosse boulette !
Il pourra se consoler en écoutant le très bel hymne national ukrainien Šče Ne Vmerla Ukraïny, qui est parfaitement dans les clous, puisqu’il affiche un très réglementaire 92 BPM.
Et que dire de la chanson russe (décidément!) Kalinka, qui débute de façon illégale à 36BPM seulement, pour accélérer à fond jusqu’à dépasser les 200 !
Y’a plus de respect chez Les choeurs de la zone rouge !
A vous de jouer !
Voici un petit quiz pour tester votre capacité de survie musicale en milieu hostile :
Il s’agit pour vous de savoir si les chansons suivantes sont KK ou no-K! (c’est-à-dire non compatibles).
Pour ceux qui auraient des trous de mémoire concernant lesdites chansons, il y a les liens. 🙂
Je vous propose pour commencer « Ma liberté » (Gerorges Moustaki) et « La danse des canards » (J.J. Lionel). On y va ?
On continue ? « Je chante avec toi Liberté » (Nana Mouskouri) et ‘Le roi des cons » (Georges Brassens)
On termine avec DjaDja (Aya Nakamura) et pour finir « Love Lioubov Amour » (Les Poppys).
La musique en Tchétchénie, c’est tout un art !
Pour aller plus loin :
Allez, je me suis fait plaisir !
J’ai écrit un petit quatrain pour mon dictateur préféré, que j’ai mis en musique dans un style électro-slave via une Intelligence Artificielle dont je vous parlerai très bientôt.
J’ai veillé à respecter scrupuleusement la loi tchétchène : la chanson est à 116 BPM!
Elle peut donc passer dans les discothèques de Grozny !
Je vous joins une invitation !
Ça s’appelle : « Viens danser Ramzan »
Voici mes paroles écrites -je l’avoue- un peu « vite fait »
« Viens danser Ramzan
Garde bien ton bonnet d’âne
Tu conserveras au chaud
Ton minuscule cerveau »
(oui je sais on a connu mieux, mais c’est pour l’exemple, et je n’avais pas l’intention de consacrer une énergie démesurée pour chanter ce cher despote)
A votre tour d‘inventer d’autres paroles à la gloire du régime sans matière grise de ce cher Kadyrov, ou de tout autre dictateur de votre choix (merci d’éviter les polémiques de politique intérieure qui ne seront pas validées).
En 2 ou 4 vers à votre choix ! Le ton doit être léger et irrévérencieux, mais pas grossier. Et si possible chantable sur la jolie musique ci-jointe !
On vous attend en commentaire !
Conclusion
Malgré son QI aussi limité qu’un BPM tchétchène, Kadyrov a même compris une chose : les artistes sont dangereux pour les dictatures !
Et il n’y a pas qu’en Tchétchénie que la musique est réprimée !
Et tout particulièrement la chanson, qui véhicule avec légèreté des messages parfois essentiels ! On pense à Victor Jara bien sûr, aux Pussy Riot… ou même à Bernard Lavilliers, emprisonné à deux reprises en Amérique latine.
Nous, auteurs compositeurs interprètes, avons -modestemement- le pouvoir de faire bouger un peu les lignes.
Ne nous en privons pas !
Vive la dé-mesure et
Vive la Chanson !
On a souvent entendu parler d’artistes réprimés pour leurs paroles, mais contrôler le tempo, c’est nouveau… Ils ne savent plus quoi inventer pour empêcher les gens de s’exprimer, tout ça par peur du peuple. Mais, sur une note plus légère, j’ai adoré ton petit quiz, même si presque toutes mes réponses étaient fausses 😀
J’avais été marqué il y a de nombreuses années, lorsqu’un compositeur russe (alors URSS) avait été emprisonné pour avoir fait une musique electro-disco pourtant juste instrumentale !
Avec cet article, je suis entre la colère et le rire.
J’adore les panneaux que tu as proposé pour éviter de surcharger les prisons.
Merci pour les exemples de rythmes, très intéressants.
Enfin, j’ai bien rigolé en entendant ton quatrain 😂
Voici le mien :
Le rythme te dérange
tu n’aime pas les échanges
Tu es méprisant
et bien dégoûtant
Adriana, j’adore ton quatrain ! A ce rythme-là (si j’ose dire!) on va bientôt pouvoir proposer une chanson complète à la gloire de ce charmant dictateur !
Merci pour cet article ludique et instructif, et surtout pour ces informations hallucinantes!
aurais tu une ou deux sources à nous recommander pour en savoir plus sur le sujet?
Merci Christine pour ton commentaire. Effectivement, c’est une info qui a été peu relayée, et j’ai moi-même douté de sa véracité dans un premier temps. J’ai donc vérifié mes sources comme je le fais toujours. Et ce n’est pas un fake : la source originelle n’est autre que le ministère de la culture de Téchétchénie, relayée par le Kremlin puis par le quotidien russe « The Moscow Times ».
Je ne savais pas du tout qu’ils interdisait certaines musiques ! C’est fou jusqu’où certains veulent tout contrôler…
Tu as raison : au delà de la musique en elle-même, le message est bien le suivant : « nous contrôlons tout » (sauf le taux d’alcoolémie de Kadyrov d’après mes sources)
Je ne peux exprimer tout ce que cette loi inepte et haineuse m’inspire, autrement qu’en faisant mon petit exercice rituel :
« Kadyrov
si t’as un bouton off
Faut vite asseoir dessus
L’ensemble de tes sous off
Ils ne s’ront pas déçus
D’ leur nouveau trou du ….
C’est rare que je me sente vulgaire, mais là je n’ai pas trouvé plus adapté.
C’est à mourir de rire ! 😀 Tu es engagée !
(dans tous les sens du terme!)
Merci beaucoup pour cet article ! On a atteint un nouveau seuil de contrôle, ça fait peur !
Tu as raison, Edouard. Ca fait peur, même si on est tenté d’en rire ! J’ai un ami qui m’a dit ceci : « Les dictateurs nous amusent… tant qu’il sont loin! ». A méditer…
Merci beaucoup pour cet article très instructif. Comme vous le dites, certains pays craignent les messages véhiculés par les artistes. De plus, leur influence peut interférer avec leurs intérêts. Merci pour ce rappel !
Merci Sarah pour ce commentaire, c’est tout à fait juste. De plus, censurer des choses sans intérêt apparent (comme le BPM) est aussi une façon de rappeler à la population que même dans les choses anodines, elle est soumise au contrôle.
Merci pour cet excellent article qui me fait penser à ce que j’ai lu il y a quelque temps expliquant que Joseph Goebbels a imposé en 1939 d’accorder les instruments au LA musical à 440 Hertz, au lieu de 432 Hz, une fréquence à laquelle toute la musique s’accordait jusqu’à ce moment car c’est le point d’équilibre sonore de la nature … https://ausondelame.ch/pourquoi-la-musique-est-passee-de-432hz-a-440hz/#:~:text=Un%20ministre%20de%20la%20propagande,accordait%20jusqu'à%20ce%20moment.
Merci Eric pour ce commentaire qui soulève plusieurs questions passionnantes. Au départ, c’est l’ANSI (American National Standards Institute) qui en 1936 a recommandé le La440. Cette fréquence est la référence officielle (norme ISO) depuis 1955, ce qui n’empêche pas les orchestres classiques de préférer le La 442 ou certains clavecinistes de rester fidèles au La 415.
Certains artistes (presque) contemporains ont enregistré en La 423 : John Lennon, Prince, et d’autres.
Certains sites proposent même un petit utilitaire qui transpose les oeuvres de 440 vers 432 Hz, mais je ne sais pas si la qualité de conversion est bonne.
Cela dit, je ne savais pas Goebbels aussi impliqué dans les fréquences. Je me demande quelle était celle de son fameux revolver.