On apprend tous les jours !
Figurez-vous que j’ai découvert il y a peu de temps une nouvelle arnaque !
Au même titre qu’il y a des sites de désinformation entièrement gérés par IA, ou des vendeurs de fausses « chansons personnalisées » faites sur Suno, il y désormais des faux auteurs SACEM qui vont vous proposer des paroles de chansons… faites par ChatGPT !
Je vous dis tout ici.
Comment font les escrocs ?
Vous en avez sans doute déjà croisé sans le savoir si vous avez cherché un auteur pour une collaboration.
Vous tombez sur un profil avenant : « Auteur à la SACEM », « Plus de 300 textes déposés », « Collabore avec de nombreux artistes ». Génial : vous avez trouvé la perle rare !
Seulement voilà : quand on lit les premiers textes proposés, il y a comme un doute… Tout est correct, voire fluide, mais… vide.

Aucun relief, aucune prise… pas trop d’erreurs non plus d’ailleurs.
Des rimes attendues, des tournures polies, un lexique vague.
Et sinon, rien : c’est lisse et inconsistant. Aucune émotion véritable.
Le secret ? Vous l’avez compris : ces textes n’ont pas été écrits par un être humain. Ils ont été générés par une IA, souvent à la chaîne, parfois retouchés à la marge. Et le « créateur » de ces textes se contente de les déposer ensuite à la SACEM… comme si c’était son œuvre personnelle.
Où trouvent-ils leurs paroles ?
Pour trouver des paroles gratuites faites par IA, ce n’est pas bien difficile :
Des dizaines de sites gratuits proposent ce service.
Et ils sont souvent assez convaincants.
Comme par exemple le sympathique petit robot de FRESHBOTS.
Si vous voulez vous faire une idée, Cliquez ici
Ce sont ces sites que les escrocs utilisent.

Pourquoi font-ils ça ?
Ben oui, c’est la question que je me suis posée : quel est l’intérêt de se faire passer pour un « vrai » auteur ?
Je me suis même dit « faut être un peu c** ».
L’explication est pourtant simple : les droits d’auteur !
Prenons un artiste local (même amateur), qui fait des passages sur scène, dont le EP est diffusé sur des petites radios web, qui fait éventuellement quelques vues sur Youtube.
A chacun des ses passages, la SACEM rétribue l’auteur et le compositeur des chansons.
Assez modestement, certes, mais de façon régulière. Normal.
Ça va de quelques dizaines à quelques centaines d’euros par trimestre.

Vous avez deviné la suite ?
Prenons un compositeur, un artiste ou un groupe local qui n’a pas de parolier.
Et voilà qu’il trouve sur internet un auteur qui propose ses textes gratuitement. Il faut simplement les déclarer à la SACEM. C’est parfait, non ?
Multiplions des centaines de textes « gratuits » offerts par ce parolier à plusieurs dizaines d’interprètes, ça commence à être une équation plutôt juteuse en terme de droits SACEM.
Surtout quand on sait que ces textes ont été produits d’un clic par une IA gratuite !
Eh oui, vous avez compris : nos sympathiques escrocs se servent de votre travail pour toucher les subsides de leurs fausses paroles que vous aurez fait exister pour eux !
Vous faites la musique, l’interprétation, la promotion, la diffusion…
En clair, vous bossez pour eux !!!
Comment les repérer ?
Comme tout bon escroc, ces faux auteurs ressemblent à de bons pères de famille, sont plutôt sympa et vont vous expliquer combien ils sont attachés à l’authenticité de leur travail !
Seulement voilà : il y a des signaux d’alerte :
L’auteur a des dizaines, des centaines de textes déposés, mais aucun titre connu à son actif.
Il affiche de façon ostentatoire son numéro SACEM comme un gage de son « sérieux » et de son statut d’auteur reconnu.
Ses textes sont souvent génériques, sans ancrage, sans personnalité.
Le vocabulaire est lisse, souvent désuet ou platement poétique.
Les expressions sont figées, sans invention ni souffle.
Et puis là où un bon auteur vit, doute, affine, vous parle, vous écoute…
…lui refusera de retravailler un texte sur mesure, ou alors il ne comprendra pas vos remarques.
Hé oui, pas facile d’écrire avec cœur quand on est un algorithme.
Ils n’ont honte de rien !
Pour les besoins de ma petite enquête (j’adore faire ça !) je me suis fait passer pour un compositeur interprète qui cherche un parolier.
Et j’ai contacté plusieurs faux auteurs.
Quand on échange avec eux, on tombe sur des gens plutôt sympathiques, mais bon, on comprend vite qu’ils sont davantage intéressés par les aspects pratiques que par les considérations artistiques.
Contrairement aux faiseurs de « chansons clé en main » (cliquez ici pour lire l’article) ils ne m’ont pas demandé d’argent…

Et ça bien sûr, ça met en confiance !
Car eux, c’est la SACEM qui les rémunère !
Et vous ?
Vous n’êtes que leur interprète à titre gratuit !
Quand vous leur posez la question de l’IA, certains admettent parfois du bout des lèvres l’utiliser comme point de départ, mais rassurez-vous, m’sieur-dames : « ils relisent tout » (je cite) et corrigent.
Alors là, je suis scié !
Ils « relisent tout » ! Quel talent !

Je vous jure : ces gens-là n’ont honte de rien ! Et croyez-moi : il n’y en a pas un pour rattraper l’autre !
Est-ce que c’est légal ?
Légal ? Parfois. Légitime ? Jamais.
La SACEM ne demande pas (encore) de preuve humaine à la création d’un texte. Il suffit de payer une cotisation, de remplir un formulaire, et voilà un texte généré automatiquement qui devient une œuvre déposée.
Il y a donc là un vide éthique, voire juridique.

Mais ATTENTION : si l’auteur ne déclare pas que le texte est généré par une machine, il ment sur la nature de son travail. Et quand il vend ce texte comme une création artistique, il escroque les interprètes, compositeurs et autres partenaires de la chanson.
Un peu comme si on vous vendait un costume sur mesure qui est en fait un pyjama de supermarché.
Des chansons « clés en main »… déjà vues
Ce phénomène s’inscrit dans une logique plus large, celle des chansons toutes faites, déjà dénoncée dans notre article Chansons clés en main : la grosse arnaque.
Là aussi, des pseudo-créateurs vous vendent des chansons entières (paroles + musique + maquette) qu’ils affirment « exclusives »… alors qu’elles sont le fruit d’une production IA !
Résultat : des dizaines d’interprètes chantent des textes creux, qui se ressemblent tous, qui ne racontent rien, mais qui sont bien « déposés SACEM »… Vous avez dit « originalité » ?
À vous de jouer !
Pour ce petit exercice de lucidité créative de 10 minutes, on va s’éloigner de l’IA pour travailler la sincérité. (oui ça parait bizarre de faire un exercice de sincérité, j’en conviens!).
Prenez un texte que vous avez écrit récemment, ou que l’on vous a proposé.
Pas forcément de l’IA, hein ?
Lisez-le à voix haute.
Puis posez-vous ces 3 questions :
1) Sent-on une émotion sincère à travers ce texte ?
2) Ce texte pourrait-il être chanté par n’importe qui ?
3) Est-ce que je reconnais une part de moi dans ces mots ?

Si vous répondez « non » à toutes ces questions…
…heu non : si vous dites oui à la 2 et non aux autres, enfin bon vous m’avez compris,
il est temps de retravailler votre texte… ou de changer de collaborateur.
Pour aller plus loin
Réécrivez votre texte en remplaçant 3 tournures convenues par des images personnelles.
L’objectif : remettre de la vie, du vécu, et du style dans vos paroles.
En conclusion : la chanson n’est pas un produit
La chanson est un art. Pas un prétexte à une escroquerie numérique.
Alors c’est vrai : tout le monde n’est pas capable de détecter des textes (ou des musiques) IA.
Mais personne ne va s’extasier devant leur résultat médiocre.
Une « œuvre » IA n’aura pas d’intérêt pour le public « chanson française ».
Le remplissage algorithmique n’est toujours pas capable de remplacer le style, l’engagement, ni la sincérité. Pour les IA, comme pour ceux qui en font un usage malhonnête, de ce côté-là, il y a encore du boulot !

Hé oui : pour faire de bonnes chansons, il faut bosser un peu et surtout… être un humain !
Foin des escrocs, et
Vive la chanson !
Je pense que ce mode de fonctionnement va « aider » d’une certaine manière les vrais auteurs, du moins je l’espère! Mais c’est vrai que cela peut participer à un appauvrissement de la culture et de la critique des jeunes générations qui ne seront plus habituées à écouter et ressentir des textes « incarnés ».
Comme tu le dis, il faut rester optimiste : ces pratiques restent en marge de ce qu’on appelle la « chanson française ». Par bonheur, les vrais auteurs (même modestes) continuent d’exister, et le public ne s’y trompe pas. Allez, on y croit ! 😉
Avec chaque avancée technologique vient son lot d’utilisation détournée. Et l’IA ne fait pas exception à la règle ! Ce qui est sur c’est la créativité humaine ne semble pas avoir de limite !
Tu as vraiment raison ! Tout progrès technologique amène avec lui son lot de dérives… en matière d’art comme ailleurs ! Mais l’IA n’est rien d’autre qu’un assistant trop parfait pour être vraiment inspiré !
Tu poses les mots justes sur une réalité inquiétante. J’ai trouvé fort quand tu expliques que « l’artiste n’est autre qu’un algorithme ». Ce passage choque et réveille. Tu défends l’authenticité, et c’est essentiel. Merci pour ton ton franc, engagé, et ta volonté de protéger les vrais créateurs 🙂
Merci Rémi ! Défendre les créateurs, les encourager, et surtout, leur donner les outils pour travailler leur art, tel est notre credo !
Et ce ‘nest que le début 😉 Malheureusement, tant qu’il n’y aura pas une vraie législation autour et surtout où commence les droits d’auteur entre homme et machine, on aura toujours ce flou juridique.
Est-on créateur lorsqu’on travaille avec l’IA ? Oui, non ? Et si on lui a demandé de corriger nos tournures de phrases mais que le fond est notre création ? Est-ce qu’on est toujours l’auteur et le créateur ? Où est le curseur de l’outil et de l’artiste ?
Ce sont souvent des débats que j’ai parce que pour moi, il y a vraiment des artistes qui utilisent l’IA comme des outils créatifs, et d’autres qui font ça à la chaîne, sans réelle intention. Mais sur quoi peut-on juger cela ? C’est ça qui est très difficile à déterminer.
Au fond, ceux qui sont les gagnants de l’histoire ce sont ceux qui maîtrisent l’IA assez parfaitement pour faire ressentir de réelles émotions et qui ont les idées innovantes derrière, laissant l’IA comme une exécutante et un outil. Ils ne perdent ainsi pas leur âme créatrice et gagnent du temps.
Le futur sera fait ainsi, il faut vraiment se mettre ça en tête je crois, même si ce futur ne plait pas toujours.
A partir de là, toi qui comptais par exemple acheter un texte, si tu n’as pas d’émotion en lisant les textes de ce père de famille, n’achète pas. Il faut du « fast food ». Tu achèteras donc du gastronomique à côté qui lui ira plus lentement mais fera procurer plus d’émotions. Son texte aura donc plus de saveur.
Et il y aura l’entre deux : celui de l’homme artiste qui se sert des IA pour aller plus vite mais en gardant son esprit créatif derrière et un pouvoir sur l’IA, ne la laissant pas tout faire à sa place.
Merci Flore pour ton analyse très complète. L’IA, ça n’est pas un gros mot. Mais tu mets le doigt sur une question centrale : quelle est l’INTENTION de l’auteur ? Celle d’un artisan qui veut produire un résultat, ou celle de l’artiste qui a quelque chose de sincère à dire, et qui veut l’exprimer avec ses mots et son style ? Le reste n’est que l’outil.
tu parles de chanson mais à mon sens ca va aussi avec la musique. ce peut etre tellement horrible ce qu’on entend parfois. Le tintamarre qui remplace l’harmonie. Ca va bien avec des chansons sans saveur pour abrutir les esprits. C’est cohérent 🙂
Merci Aurélie pour ton commentaire un peu désespéré 😉 . Tout ne va pas si mal, il existe encore de belles créations, et on est là pour les encourager ! 🙂
Je passe par l’IA, désolée, c’était trop tentant 😇.
Texte lisse et formaté:
Couplet 1
Il m’a parlé d’écriture, d’une plume sans détour
Il m’a tendu des phrases, j’y ai cru sans retour
J’ai chanté ses mots comme s’ils venaient de moi
Mais au fond de ma voix, il manquait quelque chose, je crois
Refrain
Ce n’était pas moi, ce n’était pas mon histoire
Un reflet trop lisse, une lumière sans mémoire
Je voulais toucher, je voulais qu’on m’écoute
Mais c’est l’écho d’un vide qu’ils ont ressenti, sans doute
Et texte légèrement retouché avec ma touche personnelle :
Couplet 1
Il m’a parlé d’écriture, cette plume de vautour
Il m’a fait lire des phrases, j’y ai cru sans détour
J’ai chanté chaque mot comme s’il venait de moi
Et je n’ai su que trop tard qu’il passait par l’IA
Refrain
Ce n’était pas moi, ce mauvais ventriloque
Ces formules standard, ces émotions en toc
Je voulais émouvoir, et aussi qu’on m’écoute
Mais j’aurais dû apprendre à écrire coûte que coûte
Tada daaa.
Vavavouuuuuuh !
Trop forte !
Quel talent, Eva ! Bravo ! Tu illustres parfaitement la différence entre une IA et un « vrai » auteur. J’adore le « mauvais ventriloque » et ses « émotions en toc » !
C’est parti pour l’exercice de la semaine.
Je me jette à l’eau version lièvre plutôt que tortue. Le principal c’est de travailler l’écriture un peu tous les jours.
– – – –
1 -> Texte généré avec freshbots.org dont tu parles.
Quand j’étais gamin, j’aimais la nature,
Les oiseaux chantaient, c’était une aventure,
Mais aujourd’hui, j’en peux plus, c’est trop fort,
Leurs cris résonnent, ça me tord, ça me tord.
Refrain :
Oh, merle moqueur, envoie-moi au ciel,
Tes cris me déchirent, c’est un vrai duel,
Dans ce jardin, je rêve de silence,
Mais toi, petit volatile, tu ne cherches que la danse.
– – – –
2 -> Texte avec mes trois modifications.
L’été dernier encore, j’aimais les oiseaux.
Leur trilles à l’aurore étaient un cadeau
Aujourd’hui je les abhorre, ils me plombent le cerveau
Et j’ai en horreur, leur maudit concerto.
Refrain :
Comme tu m’exaspère, oh merle moqueur,
Tu cherche la guerre, t’as l’goût d’la douleur
Je rêve de silence dans mon pti jardin
Je vais t’mettre une danse, tu f’ra moins l’malin.
– – – – –
Oups, j’ai fait plus de trois modifications.
Et puis, tu sais quoi ? J’ai demandé un peu d’aide à chatGPT pour chercher des rimes et explorer le champ lexical, une utilisation personnelle d’un IA pour assister à l’écriture.
Bravo La Rousse pour ton remarquable travail ! Il illustre parfaitement (outre ton talent) ce que l’humain a de plus que l’IA ! Transformer le débile « tu ne cherches que la danse » en « je vais t’mettre une danse », il fallait la trouver, celle-là ! 🙂 Sans parler de tes autres modifications, qui permettent au texte de décoller, tel un oiseau 😉
Une petite erreur aussi : avoir mis quatre rimes AAAA, qui alourdissent un peu la structure AABB. Mais bon, on n’est que des humains, non ? 🙂
Je n’avais pas pensé que mettre 4 rimes AAAA pouvait être une erreur. Je me disais « qui peut le plus peut le moins ».
Ton commentaire m’a fait réfléchir, et effectivement le fait de faire du AAAA rend le texte plus plat. Encore un progrès grâce à tes exercices et ton enseignement, merci.