En 1981, Jean Schultheis sort un titre qui va lui attirer les flashs des discothèques, et… les foudres des féministes ! Et pour cause : « Confidence pour confidence » est la confidence d’un pervers narcissique !
Auteur, Compositeur, Interprète : Jean Schultheis
Les paroles de « Confidence pour confidence »
COUPLET 1A
Je me fous,
fous de vous,
vous m’aimez
Mais pas moi,
moi je vous
voulais mais
Confidence pour confidence, c’est moi que j’aime à travers vous
Si vous voulez
les caresses
restez pas
Pas chez moi,
moi j’aime sans
sentiment
Confidence pour confidence, c’est moi que j’aime à travers vous
COUPLET 1B
Mais aimez-moi
À genoux
J’en suis fou
Mais de vous à moi je vous avoue que je peux vivre sans vous
Aimez-moi
À genoux
J’en suis fou
Et si ça vous fait peur
Dites-vous que sans moi vous n’êtes rien du tout
COUPLET 2A
Tout pour rien,
rien pour vous
Vous m’aimez
mais je joue
J’oublie tout
Confidence pour confidence, c’est toujours moi que j’aime à travers vous
Vous pleurez
révoltée
taisez-vous
Vous m’aimez
mais pas moi
Moi je vous veux pour moi et pas pour vous
Vous je m’en fous tant pis pour vous
PONT
Aimez-moi à genoux j’en suis fou
Et n’oubliez jamais que je joue
Contre vous, vous pour moi
Sans vous, vous l’avez voulu, tant pis pour vous
Aimez-moi
Mais confidence pour confidence, c’est moi que j’aime à travers vous
COUPLET 1A (ad lib.)
Qui est Jean Schultheis ?
Lorsqu’il sort cette chanson, Jean Schultheis est totalement inconnu du grand public…
…mais bien connu des professionnels de la musique !
Jean Schultheis, c’est le petit Mozart de la chanson française : il débute le piano à 5 ans, entre au conservatoire à 14, décroche une médaille à 16, puis un premier prix en harmonie et contrepoint, et un autre (à l’unanimité) en percussion à 19 ans.
C’est ainsi qu’il se retrouve batteur officiel de l’inoxydable Hugues Aufray avant d’accompagner Michel Jonasz, Maxime Leforestier puis Johnny Hallyday. Entre autres !
Entretemps, il joue dans une comédie musicale, puis sort un album, fait une musique de film avec Pierre Bachelet… bref : un surdoué un poil hyperactif !
Mais le vrai lancement de sa carrière, c’est bien sûr en 1981, avec « Confidence pour confidence », qui se classera à la troisième place du Hit-Parade.
S’en suivra une magnifique carrière tant d’auteur et de compositeur que d’interprète.
Ultime consécration, cette chanson a même fini en musique de pub !
La musique de « Confidence pour confidence »
C’est par là que tout commence : Schultheis invente la musique de ce qui sera « Confidence pour confidence », ce thème entêtant qui tourne sur trois notes, avec le même motif mélodique, déroulé sur un anatole en La bémol.
Sur un rythme disco simple et efficace (ce n’est pas pour rien que Schultheis est batteur) il déroule l’anatole, avec un gimmick de basse au piano reconnaissable entre tous :
Lab, Fam7, RébMaj9, Mib7.
Pour savoir ce qu’est un anatole, lisez cet article .
Vous pouvez facilement jouer une version simplifiée de « Confidence pour confidence » sur votre instrument : baissez simplement d’un demi-ton. Cela donne Sol, Mim7, DoMaj9, Ré7
Ou encore plus simple : Sol, Mim, Do, Ré7
A la guitare : doigté 1:index 2:majeur 3:annulaire 4:auriculaire
Au piano : les mêmes quatre accords simples
Cette musique a dicté à Jean Schultheis la structure si particulière des paroles :
« Au départ ce n’est pas moi qui étais censé faire ce texte. Ce n’est pas mon métier. Je suis compositeur. J’avais juste le rythme : trois pieds, trois pieds, trois pieds… Je me suis dit que j’allais écrire n’importe quoi. Et puis c’est arrivé au fil de l’écriture. Et une fois que cela a été fini j’ai pensé que cela ne marcherait jamais ! » (Jean Schultheis, La Charente Libre 2012).
Et si on y jetait un coup d’œil, à ces paroles ?
Les paroles de « Confidence pour confidence »
La forme est une anadiplose. Hein, pardon ? Anne a dit quoi ???
Anadiplose : derrière ce terme savant se cache un concept tout simple : chaque vers commence par la dernière syllabe du précédent.
D’ailleurs vous connaissez l’anadiplose : vous l’avez-vous-même pratiquée. Mais si ! Rappelez-vous !
Trois p’tits chats, Trois p’tits chats, Trois p’tits chats, chats chats
Chapeau d’paille, Chapeau d’paille, Chapeau d’paille, paille paille
Paillasson, Paillasson, Paillasson…
Ça vous rappelle quelque chose ?
Et ça : marabout, bout d’ficelle, selle de ch’val, ch’val de course…
Eh oui, tels les Monsieur Jourdain de la chanson, nous avons tous pratiqué sans le savoir l’anadiplose dès notre plus jeune âge !
Jean Schultheis, parolier inexpérimenté, n’a rien fait d’autre dans sa chanson. Voyons ce qu’il en dit en 2023 sur Radio Vinci Autoroutes : « J’ai commencé à poser les mots. Ce n’était pas simple, mais je voulais que ça sonne. J’ai écrit ‘je me fous’. Je me suis dit : ‘fou de vous’. Et quand j’ai réalisé que j’avais répété la dernière syllabe pour en faire la première… ‘Je me fous… Fous de vous… Mais vous quoi ? Vous m’aimez… Mais pas moi… etc. »
La polémique
Seulement voilà : ce texte nous parle d’un pervers narcissique qui ne considère sa maîtresse que comme un objet de sa seule satisfaction.
En cela, la construction du texte, très sec, renforce cette sensation d’insensibilité. La musique, qui tourne sur trois notes obsédantes, souligne l’enfermement du personnage dans sa spirale égocentrique.
A l’instar d’un Alain Chamfort, Jean Schultheis est si convaincant dans ce rôle (car ce n’est évidemment qu’un rôle) que nombre d’auditeurs prendront ce texte au premier degré.
Au point qu’il a été vivement critiqué par certaines associations. La redoutable « Team premier degré » ignore visiblement que la première caractéristique d’un pervers narcissique est la dissimulation.
Schultheis s’en sortira par une pirouette en prétendant qu’il était homosexuel. Un nouveau clin d’œil du facétieux diablotin !
Ceci pose une nouvelle fois la question de la fusion (et parfois de la confusion) qui existe souvent aux yeux du public entre l’artiste et le personnage qu’il joue.
Pas de quoi en tout cas empêcher ce tube de fonctionner à l’international :
Voici la version italienne, plus vraie que nature !
La construction en anadiplose
Evidemment, l’anadiplose que propose Schultheis est plus sophistiquée que celles des deux exemples de notre enfance, puisqu’il en profite pour raconter une vraie histoire ! Et c’est toute la force de ce titre.
Dans le pont (qui n’est pas en anadiplose), il joue ensuite sur la confusion avec les pronoms personnels :
« Aimez-moi (hé mais moi)
A genoux (à je – nous )
J’en suis fou (Jean suis fou)
Et n’oubliez jamais
(et nous : oubliez) »
Il poursuit avec une « confiture » de « vous » qui montre le peu de cas que le personnage fait de sa partenaire, en précisant qu’il se joue d’elle :
« Je joue contre vous,
vous pour moi
sans vous
vous l’avez voulu »
et conclut par un implacable « tant pis pour vous ! ».
A vous de jouer
Vous l’avez deviné : je vais vous proposer de rédiger un petit quatrain en anadiplose.
Ici, pas besoin de rimes : enchaînez simplement quatre mots ou groupes de mots.
S’ils sont porteurs de sens, c’est encore mieux, mais ce n’est pas obligatoire !
N’oubliez pas de l’écrire en commentaire !
Pour aller plus loin
Si vous vous prenez au jeu, vous pouvez écrire un texte entier en anadiplose (j’en ai plusieurs à mon actif, dont « Alpha BB » qui sera prochainement sur les plateformes).
Rien n’oblige à respecter le rythme de 3 syllabes par vers, mais il vous faudra tenir compte de l’équation suivante :
- plus le vers est court, plus l’effet est fort
- plus le vers est long, plus le sens est fluide
A vous donc de trouver votre juste équilibre !
L’anadiplose – Ose l’écrire !
Vive la Chanson !
Je me lance sur le terrain glissant de l’anadiplose :
Je m’sens vide
Idées sombre
Ombrageuse
Je sais que
que l’humeur
Meurs ici
Ci-gît l’ange
Ça fait plus qu’un quatrain mais comme j’ai voulu faire la maligne avec la fin de mon dernier vers qui boucle avec le premier il me fallait bien ça. Pour les bonnes ondes et le positivisme on repassera.
Bravo à toi ! Tu as cumulé les effets ! Schultheis a trouvé sa successeure (ou sa succès-soeur!).
J’ai pris un grand plaisir à lire cet article, déjà rien que par le fait qu’il est très bien écrit, mais surtout pour ce décryptage qui permet de voir la chanson de Schultheis sous un angle différent. J’ai également découvert l’anadiplose … On en fait parfois, sans le savoir, comme M. Jourdain fait de la prose. Mais je ne connaissais pas le terme
Merci Pascale pour ce très sympathique retour ! Derrière une apparente simplicité, nombre de chansons relèvent d’une alchimie assez aboutie. Et j’avoue avoir autant de plaisir à les analyser qu’à les écouter !
Super article. J’adore comprendre la structure d’une chanson ou d’un poème. Merci pour cet histoire créative.
Merci Olivia pour ce retour qui me touche. Le risque de ce genre d’exercice est de mettre trop de soi-même dans l’analyse. J’essaie de rester factuel, de lancer des pistes, et de laisser à chacun.e sa part d’imaginaire.
ça fait toujours un drôle d’effet de fredonner une chanson innocemment puis de découvrir tous les secrets qu’elle renferme tout d’un coup! Merci pour cet article 😉
Ton commentaire fait écho en moi : il m’est arrivé (et cela m’arrive encore) de m’apercevoir que, porté par le son des mots, je n’avais rien compris à certaines chansons que je chantais pourtant depuis des années… avec à la clé des surprises plus ou moins bonnes !
Article très interessant, j’ai appris ce qu’était l’anadiplose. Terme dont je n’avais jamais entendu parler. J’aurais bien voulu te créer n petit quatrain, mais je ne suis pas inspirée. Si je le suis plus tard, promis je reviendrai.
Tu as raison : Si tu dis de but en blanc : « J’ai fait une anadiplose », tout le monde va penser que tu as attrapé une maladie grave.
Prépare un peu ton entourage, et reviens vite avec ton quatrain !
Merci pour ton article super intéressant et j adore cette chanson. Alors, faire un quatrain, oserais-je ?
« Ce fut une belle journée sous la neige
Beige comme ton pantalon
Talons , tu ne portaient pas
Passant sous la neige »
Bravo pour ce quatrain de saison ! En plus on retrouve à la fin « la neige » évoquée au début, ce qui fait une rime « AXXA ». La boucle est bouclée !