SOLMISATION : une pratique mal connue !

Heu…
On va parler de… de… de SOLMISATION ?

Non vous n’êtes pas sur un site pour « public adulte averti » :

Ici, on parle bien musique, et on accueille les mineurs autant que les majeurs !

Car la solmisation ne ferait pas de mal à une mouche !

La solmisation, c’est le système qui, il y a tout juste mille ans, a donné aux notes leurs jolis prénoms : do, ré, mi, fa, sol, la, si.
Et bien plus encore ! Lisez donc la suite !


D’où viennent les noms des notes ?

Au départ, les notes n’avaient pas de nom. Pas super pratique quand on veut s’accorder ou transcrire une mélodie !
Et puis un beau jour du IXème siècle, il y a eu ça :

L’hymne à Saint-Jean Baptiste. Un tube signé Paul Diacre.
Pas terrible, mais bon. C’est comme ça qu’on chantait les chants religieux à l’époque.

Au Xième siècle, voilà que débarque Guido d’Arezzo. Ce moine italien a l’idée, pour aider ses élèves à mémoriser les intervalles, d’utiliser cette chanson :
Il a repéré que chaque phrase de l’hymne commence un peu plus haut que la précédente. Il a donc décidé de donner à chacune des notes de début de phrase le nom de la syllabe qui est chantée à ce moment-là.

Et voilà ce que ça donne :

Ut queant laxis
Resonare fibris
Mira gestorum
Famuli tuorum
Solve polluti
Labii reatum
Sancte
Iohannes

Vous ne remarquez rien ?

Ben oui ! Les six premières syllabes  » Ut, Re, Mi, Fa, Sol, La  » sont devenues les noms de nos notes
…enfin presque !

Parce qu’il a fallu attendre 1635 pour qu’un musicien italien, Giovanni Battista Doni, remplace Ut (pas facile à chanter) par Do.

Modestement, ce musicien a proposé son propre nom :
Doni Do ! Et hop ! on va se gêner, tiens !
(heureusement qu’il ne s’appelait pas Utrillo)

Quant au Si, il est apparu encore plus tard, à partir des initiales S et I de Sancte Ioannes.
(oui, l’hymne à Saint Jean Baptiste Sancte Ioannes du début, vous vous souvenez ?)

Et voilà : notre gamme était née : six notes puis sept !
Une petite astuce linguistique à l’origine de toute la musique occidentale.

Fanny la fourmi :
https://www.youtube.com/watch?v=UT9PPiqIBzY

Quand je vois passer un bateau :
Guy Bontempelli, auteur-compositeur est mort ce mardi à Marseille à l’âge de 74 ans. Il habitait Buis-les-Baronnies dans le Sud Drôme. Ami de Jean Ferrat, ses chansons ont été interprétées par Françoise Hardy, Juliette Gréco, Dalida, Mireille Mathieu et bien d’autres voix célèbres.
https://www.youtube.com/watch?v=tQIQH2ODoco

Henri Dès « La Si Do des crapauds »:
https://www.youtube.com/watch?v=BftdRgWxu-E


Et Dieu, dans tout ça ?

On observe que dans toute cette affaire, on est en mode majeur, qu’il n’y a ni dièse ni bémol, et que ces notes correspondent aux touches blanches du clavier.

Pourquoi ? Parce que le mode majeur tend à nous emmener vers le haut. Plaquez un accord de do majeur, et vous verrez, vous aurez envie de chanter une mélodie montante.
Autrement dit, ça nous emmène vers les cieux. Et ça, les curés adorent ! La fameuse « joie du seigneur » ! C’est pour cela que toute la musique religieuse a longtemps été uniquement en mode majeur, et si possible en do majeur.

Essayez maintenant de plaquer un accord mineur. Vous n’avez pas envie de chanter une mélodie descendante, vous ?
On est plutôt tiré vers le bas… comme un mineur de fond !
Pas de ça dans l’église, non mais !

Mais ce n’est pas fini : on va maintenant voir tout cela dans le détail.


Le sens émotionnel des notes en Do majeur

Chaque note de la gamme produit une tension ou une détente particulière, une “couleur émotionnelle” que l’on retrouve dans toutes les tonalités.
Restons sur notre tonalité de Do majeur (la plus simple, sans dièse ni bémol), et voyons ce que nous ressentons au gré (et aux degrés) de la gamme montante :

Degré (n° de la note)NomEffet ressenti / fonction
IDoPoint de départ, stabilité, maison.
IIL’appel du mouvement, la marche vers ailleurs.
IIIMiLa lumière, la clarté, le sourire.
IVFaL’ouverture, la respiration, la “porte ouverte”.
VSolL’attente, la tension joyeuse — il appelle le retour.
VILaLa mélancolie, la douceur nostalgique.
VIISiL’instabilité, presque une question suspendue.

Autrement dit, Do majeur raconte à lui seul une histoire : on part de chez soi (Do), on découvre (Ré, Mi), on s’éloigne (Fa, Sol), on doute (La, Si) avant de revenir à la maison (Do).

Comme nous n’avons pas fait vœu de joie majeure, on va maintenant faire la même chose en mineur.


Le miroir en La mineur

Pour la suite, on va continuer en restant sagement sur les touches blanches du piano : en effet la tonalité relative de Do majeur, c’est La mineur : les mêmes notes, mais pas les mêmes émotions.
Ici, tout change de lumière :

Degré (n° de la note)NomEffet ressenti / fonction
ILaIntimité, intériorité, mélancolie douce.
IISiFragilité, incertitude.
IIIDoRéconfort, respiration, espoir.
IVMontée d’énergie, tension émotionnelle.
VMiDrame, appel du retour, puissance.
VIFaLumière fragile, soupir de soulagement.
VIISolPréparation du retour à la mélancolie.

La mineur, c’est l’ombre portée du Do majeur : la même géographie, mais visitée à la tombée du jour.
Pink Floyd, les maîtres du mode mineur ne me démentiront pas !


Et dans les autres tonalités ?

Tout ça, ça marche pour do majeur et la mineur, mais que se passe-t-il si on joue dans une autre tonalité ?
Eh bien dans les autres tonalités, c’est pareil !

Que vous jouiez en Do, en Ré, en Fa# ou en Sib, les rapports entre les notes restent les mêmes.

C’est pour cela qu’en composition, on peut tout travailler en Do majeur ou La mineur, puis transposer :

– Avec un capodastre à la guitare
– Avec le bouton « Transpose » au clavier

Tout simplement !

Ecoutez cette chanson de Michel Delpech :
Il commence en Sol#, 2 couplets
puis à 1’20, au 3ème couplet, il monte d’un demi-ton . Nous voilà en La
Puis encore d’un demi-ton à 2’00 au 4ème couplet. On est en La#
A 2’39, Delpech monte encore d’un demi-ton : on finit en Si au 5ème couplet !

Pour autant, la « solmisation » des couplets reste la même :
Do, do, mim7, lam7, rém7, sol, lam7, faM7, mim7, lam7, rém7, sol, do
Vous imaginez le boulot pour transposer ça dans 4 tonalités différentes ? Sans moi !

Les “grands” (je pense naturellement à mon ami Claude Lemesle, mais aussi Brassens, Souchon, Barbara, Gainsbourg…) ne s’encombraient pas de théorie inutile :
ils disaient “Do, Ré, Mi” quel que soit le ton, et laissaient leurs musiciens transposer si besoin.

Parce que ce qui compte pour nous, ce n’est pas la hauteur absolue des notes, mais le mouvement émotionnel entre elles.


À vous de jouer !

Allez, on va se mettre un peu au travail !

1. Choisissez une émotion (par exemple : “espoir après la pluie”).

2. Jouez les sept notes de la gamme de Do majeur, et choisissez-en une : celle qui selon vous (et dans le déroulement de la gamme, incarne le mieux cette émotion.

3. Construisez une petite mélodie autour d’elle : faites-la respirer avec les notes voisines.

4. Transposez le tout avec un capodastre ou un clavier pour trouver votre “ton personnel”.

Vous venez de composer votre première mini-chanson modale.
Et ce que vous venez d’apprendre, Guido d’Arezzo lui-même en serait fier.


En conclusion

Si la solmisation est entrée dans les annales, ce n’est pas par hasard. Encore moins par erreur !

Car ce n’est pas du vieux solfège poussiéreux. Au contraire !

C’est une approche moderne et créative de la musique. Pas celle des instrumentistes : celle des compositeurs !

C’est une véritable grammaire émotionnelle musicale. (oui je m’emballe un peu).

Tout comme la cuisine a ses épices, la chanson a ses notes — à nous de les doser avec justesse !

Alors pratiquons la solmisation dans la joie, et

Vive la Chanson !

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2 réponses à “SOLMISATION : une pratique mal connue !”

  1. Avatar de Sciences Ludiques

    Alors là, je découvre complètement ce mot et l’origine des notes! Comme quoi, 30 ans de musique de suffisent pas à connaître les subtilités des notes! Merci pour cette belle découverte! Je penserai à mes gammes la prochaine fois que j’entendrai l’Hymne à Saint Jean-Baptiste!

  2. Avatar de Rémi

    J’ai vraiment apprécié ton article « Solmisation : une pratique mal connue ». Le passage :
    « La syllabe mi–fa, qui représente le demi-ton essentiel, agit comme un repère immuable au sein du système. »
    m’a particulièrement touché : il révèle combien une notion aussi technique peut devenir un « chemin de repère » pour l’oreille. Tu réussis à rendre accessible et précis un univers de musique souvent perçu comme abstrait — c’est à la fois utile et élégant 🙂

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