En 1966, Michel Polnareff sort une chanson à onomatopées « Ta ta ta ta ».
Et franchement, ça ne veut pas dire grand’chose !
Ah oui ? Eh bien pas si sûr !
Parce que derrière, il y a un vrai texte qui secoue le cocotier !
Et je vais tout vous révéler dans cet article.
Mais d’abord, les paroles !
Les paroles de « Ta ta ta ta » de Michel Polnareff
REFRAIN
Femme que j’aime, c’est ta-ta-ta-ta
Femme que j’aime, mais ce n’est pas toi
Femme que j’aime, c’est ta-ta-ta-ta
Femme que j’aime, mais ce n’est pas toi
Couplet 1
Je me dis ton ami et pourtant quand tes yeux
Rencontrent les miens
J’ai des remords, je me sens malheureux
Mais je n’y peux rien
REFRAIN
Couplet 2
Je voudrais te parler pouvoir t’expliquer
Mais aucun mot ne vient
Je me décide et puis je remets
Toujours à demain
REFRAIN
Couplet 2
Et ce que toi tu prends pour une chanson
Qui te plaît bien
C’est un aveu tourné à ma façon
Mais tu n’y comprends rien
REFRAINS « inachevés »
Femme que j’aime, c’est ta-ta-ta-ta
Femme que j’aime, mais ce n’est pas… (- – -)
Carte d’identité de « Ta ta ta ta » de Michel Polnareff
Titre : Ta-ta-ta-ta
Année : 1967
Auteur : Frank Gérald
Compositeur : Michel Polnareff
Durée : 2 m 21 s
Label : Disc’AZ
Référence : EP 1089
L’histoire de « Ta ta ta ta » de Michel Polnareff
1967. La France de l’époque, c’est celle de De Gaulle, pré soixante-huitarde, en pleine révolution existentielle.

Un pays qui se cherche politiquement, socialement, et artistiquement… avec mai 68 qui approche à grands pas !
C’est dans ce contexte qu’apparait un jeune auteur-compositeur-interprète iconoclaste, Michel Polnareff.

Il est fils et petit-fils de pianiste. Avec un père violent qui l’a élevé à la dure, lui faisant passer jusqu’à 10 heures face à son piano, brimades et châtiments à la clé. Michel Polnarev, solitaire et maltraité, dira plus tard que son père l’a « privé de son enfance ».
N’empêche, son génie est bien là : à trois ans, il compose sa première musique, et à 20 ans, il décide de vivre de son art.
Non pas en suivant le parcours classique auquel le prédisposaient ses études, mais en allant faire la manche et tenter sa chance tout seul.
Car ce qu’il veut, c’est faire de la pop !

Et ça marche !
En 1967, le réputé parolier Frank Gérald lui écrit « Ta ta ta ta », une œuvre à plusieurs niveaux de lecture qui est longtemps restée incomprise.
La chanson ne sera vraiment connue que bien plus tard, lorsque la clé en sera révélée !

Et cette clé, je vous la livre ici !
La recette de « Ta ta ta ta » de Michel Polnareff
Côté paroles
Ce qui fait la force de cette chanson, c’est qu’elle propose trois niveaux de lecture.
Premier niveau
Une petite chanson à onomatopées digne d’une cour de récréation.
En pleine période « yéyé », Michel Polnareff chante « Ta ta ta ta » comme » d’autres chantent « Da Dou Ron Ron » ou « Be bop a Lula ».
C’est joli, rythmique, et ça se retient !
En plus, le « ce n’est pas toi » nous renvoie aux chansonnettes enfantines où le thème « ce n’est pas pour nous » est très présent (« Dansons la capucine », « Qui craint le grand méchant loup », « J’ai du bon tabac », etc.).

Bref une sympathique petite chanson.
Deuxième niveau
Là, on s’aperçoit que « ta ta ta ta » a un sens.
C’est une expression populaire qui signifie « Je ne peux pas le dire » lorsqu’on veut garder un secret.
Et la chanson prend un sens nouveau :
Polnareff dit à une femme qu’il… ne l’aime PAS !
Et qu’il en aime une autre, dont il tait le nom.
Il essaie de le lui expliquer dans les couplets, mais elle ne comprend rien…

…et nous non plus, car en réalité Polnareff dit tout à fait autre chose !
Troisième niveau
Voici enfin la véritable explication : Polnareff ne s’adresse pas à la femme aimée… mais à SON MARI !
Et il lui dit :
« (Femme que j’aime) :
C’est ta (ta, ta, ta) femme que j’aime,
Mais ce n’est pas toi ».
En clair :
« C’est ta femme que j’aime,
mais ce n’est pas toi »
Et les couplets s’adressent au mari : ce dernier ne se rend pas compte que Michel, qu’il prend pour son ami, en pince en réalité pour sa légitime !
Et en prime, Michel se moque de lui avec ce « Ta ta ta ta » en mode « comprenne qui pourra » sur une musiquette provocatrice !

Côté musique
Dans cette mise en scène, la musique est essentielle !
C’est elle qui, par son découpage particulier, appuie toute l’ambiguïté des paroles… tout en restant pop et musicale ! Ca deviendra la spécialité de Polnareff.
Comme par exemple dans « Âme caline » ou dans « Le roi des fourmis », entre autres…
Et ce n’est pas tout !
Car la musique aussi propose deux niveaux de lecture :
Premier niveau
Une musique enfantine, presque une comptine !
Un peu trop innocente pour être honnête !
D’autant plus que cette ritournelle sonne un peu comme les moqueries des enfants :
« Bisque bisque rage » ou autres
« Laa, la lalèère » de cour de récré.
Moi je trouve ça louche, pas vous ?

Deuxième niveau
Le caractère répétitif des deux notes du refrain nous renvoie à l’obsession du personnage pour cette femme.
Avec en plus le côté enfantin-malsain qu’on retrouve souvent dans les musiques de films d’horreur.
A cela s’ajoutent les dissonances de plus en plus établies en milieu de couplet qui instillent le malaise à mesure que le non-dit s’installe.
Allez donc écouter :
à 0:30 : au 1er couplet, le son est juste et en apparence, tout va bien.
à 1:00 : au 2ème couplet, quelques dissonances apparaissent.
à 1:28 : au 3ème couplet, ça « frotte » carrément : on est dans la fausse note !

Et là, finie la comptine,
parce que ça ne rigole plus du tout !
Du pur génie !
À vous de jouer !
On va se prendre pour Polnareff (ou Frank Gérald), en pratiquant l’art du malentendu.
Votre mission : Inventer une phrase qui change de sens selon son découpage.
Comme par exemple la célèbre :
« La femme de Paul, Laval, et vous » qui peut aussi se comprendre ainsi :
« La femme de Paul Laval et vous » ou encore :
« La femme de Paul, la valez-vous ? » ou d’autres versions plus hardies que je vous laisse le soin d’imaginer.

A vous maintenant de trouver un petit gimmick tout simple qui change de sens selon son découpage et ses appuis rythmiques.
Partagez-le en commentaire !
Avant de se quitter
Je vous offre trois autres versions peu connues (et pas terribles) de cette chanson.
Une en français (reconnaîtrez-vous l’artiste ?), une autre en italien, et une enfin en espagnol.
Ces deux dernières ne sont intéressantes que pour l’accent à couper au couteau de Michel !
Il faut reconnaître qu’il n’a jamais été très doué pour les langues étrangères !
Quant au double sens des paroles, il n’a survécu ni au franchissement des Alpes, ni à celui des Pyrénées ! Tatatata est redevenu le nom de la femme : comme dans la première version !
En conclusion
Toujours se méfier des petites chansons un peu bébêtes qui nous restent en tête.
Un sens peut en cacher un autre !
« Ta ta ta ta » n’est pas la seule chanson dans ce cas, et certains artistes s’en sont même fait une spécialité : Polnareff, bien sûr, mais aussi Bashung ou Gainsbourg, sans oublier bien sûr l’incontournable Boby Lapointe !

Peut-être serez-vous la prochaine ou le prochain ?
Vivent les sens cachés, et
Vive la Chanson !
Super intéressant! Comme quoi, une chanson en apparence bêbête peu en dire long! Il semble aussi que le chanteur fasse un pied de nez à son paternel musicien, non? J’y entends aussi les prémisses d’une sexualité libre.
Encore une fois, je vois des liens avec le haïku: au Japon, l’onomatopée est très utilisé pour l’écriture du poème bref.
Polnareff a fait du pied de nez sa marque de fabrique ! Toute sa vie, il se sera affranchi de l’autoritarisme, qu’il soit social, musical ou familial. Un « casseur de codes » avant l’heure !
Merci pour ce décryptage de cette chanson de Polnareff, écrite par Frank Gérald. C’est fascinant de découvrir des messages « cachés » dans des textes si populaires et anodins. Cette chanson renoue avec une tradition longue ou des textes enfantins véhiculaient des messages politiques ou des critiques envers les puissants.
C’est vrai Philippe ! Le texte « enfantin » et la musique « enfantine » sont des grands classiques en chanson ! Voilà un thème pour un prochain article !
Diantre, il est fortiche, Polnareff ! Ne serait-ce que musicalement, la version italienne reste efficace, avec un côté enjôleur. Et les paroles au premier degré ont ce quelque chose d’acidulé qui pourrait suffire. Merci pour cette analyse de haut vol qui donne furieusement envie de créer sa propre ritournelle à double-sens !
J’ai réécouté un peu fortuitement une chanson de Polnareff cet été… puis une seconde, une troisième, et ainsi de suite durant des heures ! Impossible de m’arrêter ! A chaque chanson (ou presque), il crée un nouvel univers. C’est vrai qu’il est fortiche !
Très intéressant de découvrir la véritable signification de cette chanson, et amusant de voir Michel Polnareff sans ses fameuses lunettes ! Même si je ne suis pas fan de cet artiste, j’ai apprécié l’éclairage que tu apportes.
La transformation physique de Polnareff est impressionnante en effet. Outre les lunettes, il y a eu la coiffure et les plumes. Sans parler de la musculation !
Merci pour cet article intéressant ! Je ne connaissais pas Polnareff sans ses lunettes, voilà chose faite !
J’ai beaucoup aimé ton jeu « a vous de jouer », jouer avec les mots peut être drôlement amusant.. Par contre, j’ai beau chercher, je ne trouve pas de gimmick semblable ou digne d’intérêt ! Mais je retiens l’idée !Merci
Merci Jonathan pour ce retour très sympathique! et Bravo de t’être essayé à « A vous de jouer ». Pas d’inquiétude : en chanson, les formules magiques arrivent souvent de façon fortuite !
C’est vraiment intéressant d’en apprendre davantage sur le contexte de cette chanson de « L’Amiral », qui serait autrement passée inaperçue et restée inconnue.
Personnellement, je reste fasciné par les hauts et les bas que le chanteur a dû traverser avec l’administration fiscale française, ce qui a marqué sa vie à ce jour, puisqu’il n’est plus revenu vivre en France, un scénario qui correspond à ce qu’Olivier Roland décrit dans son dernier livre.