Allez, vous êtes comme moi : il vous arrive d’écouter une chanson en anglais et de vous laisser emporter par la mélodie sans vraiment prêter attention aux paroles ?
Et puis, un jour, HORREUR ! Vous découvrez leur traduction et vous réalisez qu’elles sont d’une platitude affligeante… Et pourtant, l’illusion a fonctionné…
En revanche, dès qu’une chanson est en français, là, impossible d’y échapper : chaque mot, chaque phrase nous frappe de plein fouet, pour le meilleur comme… pour le pire.
C’est toute la « MALÉDICTION » de la langue française.

La malédiction du biais cognitif
Dès que nous entendons une chanson en français, nous en saisissons automatiquement le sens.
C’est comme ça.
Mais pourquoi ?
Et bien cette perception immédiate est due à un mécanisme cognitif imparable : C’est une question de langue maternelle !
Depuis notre naissance, notre cerveau est programmé pour en extraire du sens et en jauger la forme dès le premier son.
Comme dirait Monk, c’est un don…
C’est comme cela qu’on communique de façon fluide avec ses compatriotes, sans avoir besoin de réfléchir.
…et une MALEDICTION.
C’est ce qui explique aussi qu’une phrase maladroite ou une métaphore bancale nous saute immédiatement aux oreilles.

En anglais ou dans d’autres langues, nous n’avons pas ce réflexe : nous nous laissons porter par la sonorité des mots, sans ressentir immédiatement leur éventuelle pauvreté.
Ce phénomène repose sur plusieurs biais cognitifs bien connus :
- L’effet cocktail party 🍸 : Notre cerveau est toujours en alerte pour capter des informations pertinentes dans notre langue maternelle. Même noyé dans un flot sonore, il détectera instantanément une phrase qui fait sens.
- L’attention involontaire 🎯 : Contrairement à une langue étrangère, où l’on doit fournir un effort de compréhension, le français impose son sens sans qu’on puisse y échapper.
- La curiosité spontanée 🔍 : Entendre des paroles dans sa langue maternelle déclenche un besoin instinctif d’interpréter et d’analyser.
- Le biais de surveillance sociale 👂 : La musique étant une expression culturelle forte, nous cherchons instinctivement à comprendre les discours qu’elle véhicule.
Les chansons en anglais : l’illusion du génie
Si nous avons souvent l’impression que les chansons anglophones sont mieux écrites, c’est en grande partie à cause de cette « malédiction ».
Nous n’avons pas la même exigence lorsque nous écoutons une chanson dans une langue étrangère, parce que nous n’en percevons pas instantanément les maladresses.
De plus, l’exotisme liée à cette langue qui nous est étrangère (c’est le cas de le dire), en renforce la poésie apparente.

Le piège est renforcé par un autre biais cognitif : l’effet Eaton-Rosen. Ce phénomène nous pousse à croire qu’une rime (ou une allitération) donne plus de crédibilité à un propos.
Alors oui, ça fonctionne dans toutes les langues, et donc aussi en français.
Seulement voilà : vidé de sons sens, un texte simpliste en anglais peut paraître profond s’il est bien rythmé et sonne bien.
A ce sujet, jetez donc une oreille sur les fausses rimes en « o » de Magic System ! Rigol »o », non ?
La musique mène la danse
Si la langue française impose son sens, il ne faut pas oublier que la musique, elle, touche directement l’émotion.
Une bonne chanson est celle qui crée une cohérence entre le discours et la mélodie.
Ainsi, le rock inspire la révolte, le slow évoque l’amour, et les musiques de relaxation plongent dans un état méditatif…
Dans une langue étrangère, la musique des mots suffit à renforcer cette émotion.
En français, ça ne marche plus, puisque les mots ont un sens.
Mais bon on va relativiser :
En fait, la musique des mots marche aussi en français, même si l’effet est « parasité » par le sens.
Alors là, deux solutions : soit le sens est plat et ça saute aux oreilles ! Ouille !
Soit le sens est intéressant et ça s’appelle du talent !
Et c’est pour cela qu’on est ici ensemble !

Mais cette mécanique peut aussi être détournée… lisez donc la suite !
Le pouvoir des mots : persuasion ou manipulation ?
Et c’est ici qu’on retrouve une autre malédiction de la langue !
Car la combinaison musique-parole a été exploitée bien au-delà du domaine artistique.
Dans la publicité, bien sûr, pour influencer notre perception d’un produit.
Mais il y a pire :
Certains prédicateurs utilisent des musiques « enveloppantes » pour rendre leur message plus persuasif.
Le rap, souvent décrié, joue justement sur cette puissance du verbe alliée au rythme… et pas toujours dans un but respectable !
Et que dire des meetings politiques ou idéologiques, où les musiques choisies renforcent les slogans et conditionnent l’auditoire ?

La musique ne se contente pas d’accompagner un discours, elle en devient une arme.
Le public « musique » préfère l’anglais
Disons le : face à cette « malédiction », il est plus confortable pour certains d’écouter des chansons en anglais : le sens devient secondaire, et l’émotion musicale prime.
A mon grand désespoir, ma propre fille est dans ce cas !
Quelle ingratitude… 😉
Alors, on fait quoi ? On abandonne ?

Et bien non ! Car le public « musique » (qui privilégie l’atmosphère sonore) n’est pas le public « chanson » qui se concentre sur les paroles.
Rassurons-nous ! « Notre » public, c’est le public « chanson »
Et il aime le sens des mots !
En conclusion
Alors, malédiction ou bénédiction ? Tout dépend du point de vue.
Une chose est sûre : en français, les mots comptent.
Et ça, notre cerveau ne nous laissera jamais l’oublier ! 😎
C’est ce qui fait toute la beauté de la chanson française.
Et toute sa difficulté aussi !
Alors, toujours prêt à relever le défi ? 😉
Moi oui !

Vive la Malédiction du Français, et
Vive la Chanson !
J’ai bien aimé ton analyse des biais cognitifs et ne connaissais pas celui appelé » l’effet Eaton-Rosen ». Merci pour la clarté de ces explications !
Merci Sylvie pour ton commentaire. Je reparlerai de Eaton Rosen dans un prochain article, car c’est un pilier de la création de chansons !
Hello !
Super intéressant cet article sur les différences français/anglais ! Je m’étais déjà fait la réflexion mais je n’avais jamais vraiment réfléchis à l’origine 😊 Merci !!
Merci Judith pour ton commentaire ! Je sais que tu es une grande voyageuse, et les langues étrangères n’ont sans doute guère de secrets pour pour toi ! Je penses que tu les abordes sans doute différemment de nous pauvres sédentaires 😉
Ton article me parle beaucoup. J’ai été déçue plus d’une fois par des chansons traduites.
Tu as raison de préciser qu’il y a des publics et deux styles d’écoute : pour les paroles ou la chanson. Je n’avais jamais théorisé cela.
Pour ma part, j’oscille entre les deux.
J’avoue être tombé de haut lorsque j’ai réalisé l’ineptie de certaines chansons anglaises. Toute la magie s’écroulait ! Depuis, je me suis fait une raison, et je ne cherche que très rarement à percer le sens des chansons anglophones… surtout lorsqu’elles sont faites par des français !
Merci Denis pour cet article qui met le doigt sur la difficulté d’écrire en français. Tu l’expliques super bien, et j’avoue que l’on se sent vite emporté par des chansons en anglais Mais une fois traduites, les paroles sont vraiment à la ramasse parfois. OUI, il faut du talent pour écrire une belle chanson française …
Merci pour cet article qui perce enfin le secret de l’attirance qu’on éprouve pour les chansons anglaises. On attache trop d’importance aux mots quand la chanson est en français! Mais alors, comment expliquer que des chansons qui disent « nous nous en allerons » ou encore « Reprenez r’avec moi tous en chœur » ont autant de succès?
Ha ! Ha ! Bien vu ! C’est justement parce que ces mots « accrochent » notre oreille qu’ils nous marquent ! Ce qui est le plus rigolo, c’est qu’il n’y en a qu’un seul des deux qui l’a fait exprès ! 😀
Etant issu d’une culture étrangère, j’ai eu la chance d’apprendre une autre langue depuis petit (et pour moi c’est un don ☺️). En grandissant j’ai eu des facilités à apprendre d’autres langues, ce qui affecte également mon rapport à la musique. Le rythme est aussi important pour moi dans des musiques en anglais ou en espagnol mais je prête naturellement attention aux paroles (et la c’est une malédiction !)
Merci Rudy pour ton commentaire qui nous éclaire sur l’approche multiculturelle dans l’appréhension des paroles ! Notre monde est de plus en plus cosmopolite, et c’est vrai que les amateurs de chanson française sont souvent polyglottes !