Ecrire des paroles qui pulsent

Vous avez remarqué ?
Il y a des chansons qui vous embarquent dès les premiers mots, quand d’autres semblent creuses et mal fagotées.
Et pourtant ! Quand on en isole le texte, on ne constate souvent aucune différence de qualité entre les unes et les autres.
Mais alors, d’où vient le problème, et comment ne pas tomber dans cet écueil ?
Je vous dis tout dans cet article ! Ma parole !

✍️ Écrire des paroles qui impulsent du rythme

Une bonne chanson, c’est une chanson qui fonctionne musicalement, mais surtout rythmiquement. Les mots avancent, la mélodie respire, et le public se laisse entraîner sans s’en rendre compte. Comment arriver à ce petit miracle ? En faisant se rencontrer deux mondes qui doivent se comprendre : le rythme du texte et le rythme de la musique.

Côté mélodie

Dans toute mélodie, certaines notes sont plus importantes que d’autres. On les appelle les appuis. Ce sont elles qui portent le sens de la ligne mélodique, mais aussi l’émotion, et souvent… l’envie de taper dans les mains.

Côté paroles

La langue française, elle aussi, possède un rythme naturel. Certaines syllabes se détachent spontanément lorsque nous parlons : ce sont les accents toniques. Ils sont plus discrets qu’en anglais ou dans les langues latines, mais ils existent bel et bien !

Le secret d’une bonne chanson

En chanson, le secret est donc simple à énoncer (et un peu moins simple à maîtriser) :

Les accents toniques doivent tomber
sur les temps forts de la mélodie.

Si les deux ne se coordonnent pas, le texte semble « tomber à côté » et l’auditeur ressent une petite gêne… même s’il ne saura pas dire pourquoi.


Où tombe l’accent tonique en français ?

La règle tient en quelques lignes, mais change tout dans l’écriture d’un refrain :

  • Pour les mots qui se terminent par un “e” muet, comme « tonne, barque, fille », qu’on appelle rimes féminines en fin de vers : → l’accent tombe sur l’avant-dernière syllabe
    tonneton-ne
  • Pour les autres mots, ceux qui finissent par une voyelle prononcée ou une consonne sonore, qui sont dits « rimes masculines » :
    → l’accent tonique est sur la dernière syllabe
    tonneau → ton-neau

Et c’est toujours comme ça que ça se passe. Sans exception.

À partir de là, tout devient plus clair.
Une syllabe importante doit être placée sur une note importante.
Sinon, l’oreille proteste ! Et en chanson, l’oreille a toujours raison !


Un exemple qui marche : Alexandrie, Alexandra

Prenons cette pépite que vous avez forcément déjà chantée (oui je sais : vous dites que ne vous en souvenez pas, mais on a des preuves) :

« Voile sur les filles, barques sur le Nil
Je suis dans ta vie, je suis dans tes bras
Alexandra, Alexandrie
Alexandrie ou l’amour danse avec la nuit
J’ai plus d’appétit qu’un barracuda.»
etc.

Amusons-nous maintenant à souligner toutes les syllabes qui marquent des appuis dans la musique.

« Voile sur les filles, barques sur le Nil
Je suis dans ta vie, je suis dans tes bras
Alexandra, Alexandrie
Alexandrie ou l’amour danse avec la nuit
J’ai plus d’appétit qu’un barracuda»
etc.

Lisons maintenant le texte comme on le ferait pour un texte en prose.
Que constatons-nous ? L’accent tonique que nous y mettons naturellement en parlant correspond exactement aux syllabes qui sont soulignées. Ce n’est bien sûr pas un hasard.
Eh oui : les appuis naturels du français et les appuis musicaux sont parfaitement alignés.
Claude François et Étienne Roda-Gil savaient très bien ce qu’ils faisaient : si cela groove autant, c’est parce que le texte colle à la musique.

On peut faire le même test avec « Je suis venu te dire que je m’en vais », ou avec n’importe quel succès populaire : vous retrouverez le même souci du rythme verbal.


Et quand ça ne marche pas…

Prenons un classique international : « We Wish You a Merry Christmas ».
En anglais, tout va bien :

« We wish you a mer-ry Christ-mas »
Les accents sont à leur place. Car en anglais (pour faire court) l’accent tonique est sur l’avant-dernière syllabe de la proposition.

En anglais, magnifique !
En français : du travail de Mickey !

Mais en français, la version
« On vous sou-hait’ un joyeux Noël » tombe complètement à rebours de la musique.
Et là, ça pique encore plus que les épines du Norman !
On l’entend bien quand on chante : il y a un truc qui ne tourne pas rond !
Ca sent le sapin ! L’accent tonique est pris à contrepied !
Et le roi des forêts se retrouve par terre !

Définitivement, la chanson, ce n’est pas de la poésie.
Un beau texte qui ne s’appuie pas sur la musique, ou une belle musique qui ne respecte pas les paroles ne feront jamais une bonne chanson.


Comment s’y prendre ?

Bon, tout ça , c’est bien joli, mais nous, qu’est-ce qu’on en fait pour nos chansons ?
Vouc connaissez la méthode des numéros pour faire de la peinture ?
Eh bien nous, on va numéroter les syllabes !

Si vous commencez par la musique

Notez le nombre de syllabes de chaque phrase musicale, et numérotez-les.
On parlait de Alexandrie, Alexandra ?
Imaginons que vous soyez Etienne Roda-Gil.
Pierre Boutayre vous apporte sa musique, mais sans les paroles…

Prenons le début de la mélodie, et comptons les notes.
Ca fait :
1 2 3 4 5, 1 2 3 4 5 (qui deviendra « Voi-les sur les filles, Bar-ques sur le Nil »)
1 2 3 4 5, 1 2 3 4 5 (qui deviendra « Je suis dans ta vie, je suis dans tes bras »)
1 2 3 4 , 1 2 3 4 (Qui deviendra « A-lex-an-dra, A-lex-an-drie »).

A présent, voyons ‘en chantant) où sont les accents de cette mélodie :
1 2 3 4 5, 1 2 3 4 5
1 2 3 4 5, 1 2 3 4 5
1 2 3 4 , 1 2 3 4

Il ne reste plus qu’à écrire des phrases de 5 syllabes dont l’accent tonique tombe sur ces appuis !
Mission accomplie avec :
« Voiles sur les filles, Barques sur le Nil
Je suis dans ta vie, je suis dans tes bras
Alexandra, Alexandrie« 
C’est exactement comme cela qu’on aurait accentué en « langage parlé » ! Bien joué Etienne !

Il ne vous reste plus qu’à appliquer cette méthode pour vos chansons !

Si vous commencez par le texte

Le même exercice peut se faire à l’envers : un compositeur (donc vous ?) qui va travailler sur un texte doit repérer les accents toniques, les noter en les soulignant, et appuyer sa musique dessus.
Bien sûr, en amont (comme dit Marcel !), il faut que l’auteur (donc toujours vous) veille à garder une structure stable d’un couplet à l’autre, non seulement dans la métrique (le nombre de pieds), mais aussi dans les appuis (l’accent tonique).
Pour cela il faut, là encore, numéroter ses premiers vers et souligner les appuis.
Le mieux étant de pratiquer la scansion au moment de l’écriture, c’est-à-dire de lire son texte à voix haute en mettant les accents.

Je ne vous cache pas que cette méthode est moins naturelle. En effet, les « textes de chansons » écrits sans musique préalable s’apparentent plus souvent à de la poésie qu’à de la musique.


À vous de jouer 🎤

Je vous propose un petit atelier d’écriture rythmique :

1. Reprenez un classique de la chanson enfantine que tout le monde connait : « Il était une bergère ».

2. Numérotez les syllabes des quatre vers du premier couplet.
Puis soulignez les numéros où sont les appuis de la mélodie.

3. Écrivez un nouveau couplet de 4 vers en respectant la structure et les couples accents toniques / appuis mélodiques.

4. Félicitations : vous venez de manipuler une technique professionnelle 🤫

Et surtout : n’hésitez pas à publier votre résultat en commentaire ! Qui sait ? A nous tous, nous allons peut-être marquer l’histoire de la chanson traditionnelle française avec une nouvelle version ? 😉


Avant de se quitter 🎤

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Vous pourrez y retrouver nos articles, publier vos oeuvres, échanger, et trouver des conseils.


En conclusion

En chanson, on le sait, tout est question d’harmonie. Nos syllabes ne sont pas de simples mots : ce sont des notes de musique, avec leur son, mais aussi leur rythme et leur intensité.
Leur positionnement harmonieux sur la mélodie, voilà le secret d’une bonne chanson, même si comme toujours, la liberté est de mise.

Vive la pulse, et

Vive la Chanson !

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Une réponse à “Ecrire des paroles qui pulsent”

  1. Avatar de Eva

    Le retour da la distinction entre les rimes masc/fem qui révèle enfin son importance ! Encore un contenu qui va me faire gagner un temps fou dans l’écriture et la composition. Jusque-là je me fiais à mon oreille infaillible mais coincée au stade « Beau/Moche ». Du coup je modifiais la mélodie ou les mots à l’infini… jamais la rythmique 🤪 Merci à l’ACD !

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