En musique, on connait la salsa, le sirop, la soupe…
Et si l’analogie ne s’arrêtait pas là ?
Si la chanson, c’était VRAIMENT de la cuisine ?
Avec des recettes qui marchent, des règles culinaires à respecter, et qui sait ? Une potion magique à découvrir ?
Eh bien vous ne croyez pas si bien dire ! Enfilez votre tablier, on y va !
1. D’abord, de bons produits
La cuisine, ça commence par une chose : les ingrédients.
Vous avez déjà essayé de cuisiner un bon petit plat avec de mauvais produits ? Impossible.
C’est connu : dès potron-minet, les chefs vont sur les marchés sélectionner les produits les plus frais, ceux qui ont été élevés et cultivés avec amour par les producteurs.
Eh bien pour nous c’est pareil !
Alors, nos produits à nous, c’est quoi ?
Pour les paroles
C’est comme pour les légumes : on va choisir des produits de saison, frais et digestes : des mots dans l’air du temps, faciles à comprendre, actuels, et surtout qui sonnent bien.
C’est une étape très importante : on en connait tous, de ces chansons lourdes et lénifiantes faites avec des mots mal choisis. Leurs auteurs ont mal fait leur marché !
Pour la musique
On va sélectionner les instruments :
– Leur type, d’abord, qui doit être en phase avec l’esprit du plat. Ukulélé léger ou cuivres explosifs n’auront pas le même effet.
– Leur qualité ensuite : de beaux sons s’obtiennent avec de bons instruments, bien entretenus (cordes en bon état, touches réactives, etc.), bien accordés, y compris pour les synthés dont on choisira les sons avec soin.
– Leur originalité enfin, légume ancien style bombarde, ou bongo épicé qui apportera la touche de piment à votre œuvre.
En chanson comme en cuisine,
c’est le moins bon produit qui détermine le niveau de l’ensemble.
Bon, tout ça c’est bien gentil, mais bien sûr, il va falloir maintenant mettre cela au service de votre recette.
2. La recette : entre héritage et création
Nous y voilà !
Des recettes connues qui marchent depuis toujours, il y en a !
Les quatre accords magiques, le couplet-refrain-couplet, la ballade en 3/4. Ce sont nos gratins dauphinois et blanquettes de veau : indémodables, mais parfois un peu trop servis.
Mais si vous êtes un bon cuisinier,
la recette c’est vous qui l’inventerez !
Alors bien sûr, vous allez vous appuyer sur ce qui fonctionne. Ce peut être un traditionnel vin rouge-fromage, ou un plus actuel sucré-salé, voire, plus hardi, des huîtres chaudes gratinées au Roquefort.
Et tout ça, on vous en parle à l’Académie de la Chanson : les règles à connaître, celles qu’on peut transgresser, et les erreurs à éviter.
Mais ce n’est pas le sujet ici. Pour le détail, reportez-vous à nos articles.
3. Composition du plat et cuisson
Un bon plat s’appuie sur une idée et une structure, avec une intention.
En chanson, c’est pareil.
Pour les paroles
La structure, c’est tout simplement l’articulation et l’alternance entre les couplets, les refrains, le pont, l’intro…
Comme la logique d’un menu bien équilibré, qui vous prend par la main, et dans lequel la succession les plats mettra l’ensemble en valeur.
Tout cela se réfléchit en amont, avant même d’écrire la première ligne. Je vous en parle en détail dans d’autres articles. Reportez-vous aux liens en fin de page.
Pour la musique
En cuisine, chaque plat a un ingrédient principal.
Mais cela ne serait rien sans la sauce qui exhale son caractère !
Et en musique, la sauce c’est la rythmique. C’est elle qui va définir l’esprit de l’ensemble.
Un piano-voix intimiste, une guitare-voix en liberté, une rythmique endiablée, un Poum-tchac dansant donneront autant de saveurs différentes à une même mélodie.
La rythmique va nous porter tout au long de la chanson, nous emmener là où on doit aller !
Et puis, il y a… la cuisson !
Hein ?
Oui, je sais ce que vous pensez. Vous vous dites « Ca y est, ça le reprend. Il a dû manger une chanson pas fraîche ».
Mais non : comment allez-vous entretenir la flamme sur votre chanson ?
Car le type de cuisson détermine aussi la dynamique de la chanson : va-t-on choisir une cuisson lente (donc une ambiance linéaire) qui va conserver toute la tendresse du propos en nous prenant par la main, ou un aller-retour explosif au gril qui va nous balancer sans ménagement du croquant au saignant ?
4. L’équilibre des saveurs
C’est le moment de parler composition, mais aussi (un peu) arrangements et orchestration.
Une chanson réussie, c’est avant tout une question d’équilibre. Une mélodie trop sucrée et c’est la mièvrerie. Trop de sel (effets gratuits, arrangements lourds), et l’auditeur sature.
Un bon auteur-compositeur sait doser. Il joue sur les textures sonores, les dynamiques, les silences comme un chef dose les herbes, le feu et la matière.
Même la structure d’un titre, avec son introduction apéritive, la montée de l’entrée vers le « climax » du plat de résistance, puis le retour au calme (fromage ou dessert) rappelle celle d’un menu bien pensé.
Le tout délicatement posé… sur une nappe.
Et puis bien sûr il y a le mixage.
Bien que ce ne soit pas l’objet de cet article, ni même le thème de ce site, l’ingénieur du son que je suis ne peut pas passer cette étape sous silence.
Le mixage, c’est le moment où, dans une cuisine ultra-équipée, se révélera le dosage parfait de chacun des ingrédients. Et ce n’est pas notre travail d’auteur-compositeur.
Mais cela ne sera possible que si nous, auteurs compositeurs interprètes avons en amont réalisé des assemblages équilibrés, en lien avec l’arrangeur.
Pas de saveurs qui se chevauchent (guitare + ukulélé +harpe) ni qui se contredisent (harmonies qui « frottent »), pas de trou (personne dans la fréquence 1000Hz) ni de substance bourrative (le piano qui « mange » la voix). Ca, c’est bien à nous de le faire !
5. Cuisinez local
Pour toucher le public, une chanson doit partager avec l’auditeur un même système de référence : vous allez donc utiliser des ingrédients issus de son environnement proche.
Le choix du thème, des mots, doit correspondre au lieu et à l’époque.
La musique doit être actuelle, ne pas exiger un effort de décodage excessif qui nuirait à l’émotion.
Et cela ne nuit pas à la créativité, au contraire !
Mais sachez rester dans ce qu’on nomme la « zone proximale de développement » pour que l’auditeur se sente concerné.
6. De la « soupe » à la « salsa » : les goûts et les fautes
L’expression le dit bien : il y a de la « soupe » dans la musique, comme dans la cuisine. Ces chansons formatées, tièdes, sans relief, qu’on oublie avant même la dernière note.
Et à l’inverse, il y a les plats relevés : la salsa, le rock spicy, la bossa suave.
Les fautes de goût musicales existent : la rime forcée, le tempo artificiel, l’arrangement disproportionné. En cuisine comme en chanson, trop de sauce tue le plat.
Alors ce qu’on retient, ce sont les chefs qui osent le juste décalage, la touche personnelle. Jacques Higelin, Camille, Stromae ou Clara Luciani ont chacun leur recette — reconnaissable dès la première bouchée sonore.
7. Cuisiniers et musiciens : même combat !
Oui, un cuisinier, c’est exactement la même chose qu’un auteur-compositeur- interprète.
Je défie quiconque de trouver une vraie différence entre les deux !
Certains artistes ont d’ailleurs fait le lien explicitement : Jean-François Piège joue de la guitare ; Francis Cabrel fait son propre vin ; Michel Jonasz a souvent comparé le groove à « une sauce qui lie les ingrédients entre eux ».
Même Yannick Noah, entre deux tournées, parle de sa musique comme d’un plat partagé : « Je veux que les gens se sentent bien après m’avoir écouté. »
La musique et la cuisine sont tous deux des arts de la transmission et de la générosité.
On n’écrit pas une chanson pour soi, pas plus qu’on ne cuisine pour manger seul.
On le fait pour nourrir l’autre, et lui offrir du plaisir.
8. À vous de jouer : la critique gastronomique
Prenez une de vos chansons, et tel un Etchebest de la chanson, décortiquez-la sans complaisance.
Vérifiez tout, mais attention : cette fois-ci en commençant par la fin, comme le ferait un gourmet quand il découvre un plat :

– Le thème :
Est-il brûlant ou est-ce du réchauffé ? La date de consommation est-elle encore valide ? En clair, votre sujet est-il daté ?
– Le mixage :
Les saveurs sont-elles toutes présentes, et l’esprit du plat est-il là ? Autrement entend-on tout distinctement ? Est-ce que chaque instrument trouve sa place ? Et surtout : la voix est-elle claire et mise en avant, car c’est cela qui compte ?
– La composition du plat :
Est-ce que chaque instrument est utile ? L’ensemble est-il cohérent ?
– La qualité des produits :
Le son de chaque instrument est-il bon ? Les instruments sont-ils bien accordés, bien joués, en place mais avec de l’intention ? La voix est-elle juste (dans tous les sens du terme), et bien articulée ?
– La quantité :
N’est-ce pas trop lourd ni trop copieux ? Il faut vraiment avoir une bonne raison pour dépasser les 3’40. Pas question de transformer votre chansonnette en indigestion.
Posez-vous bien toutes ces questions, en allant dans le détail, et sans vous satisfaire de votre impression générale. C’est comme ça que vos chansons s’amélioreront et que vous progresserez.
Je vous conseille de faire ce type d’écoute aussi avec des chansons professionnelles. Vous aurez des surprises !

Avant de se quitter
Je vous rappelle que vous pouvez rejoindre le groupe facebook des Auteurs, Compositeurs et Interprètes francophones de l’Académie de la Chanson. Il suffit de cliquer ici.

Vous pourrez y retrouver nos articles, publier vos oeuvres, échanger, et trouver des conseils.
En conclusion
La chanson comme la cuisine sont des arts du quotidien. Il y en a pour tous les goûts, et pour toutes les circonstances. De la cuisine/chanson familiale simple et attachante à la grande cuisine/chanson réservée aux grandes occasions, en passant par la cuisine/chanson exotique, chaque style a son public, ses chefs et ses chefs d’œuvres.
Et forcément, là-dedans, il y a de la place pour vous.
A condition bien sûr, de bien savoir où vous allez, et de respecter l’auditeur autant que vous vous respectez.
Et ça, ça s’appelle le travail !
Alors à vos platines, à vos pianos, et
Vive la Chanson !
Merci pour la liste de ces questions à se poser lorsqu’on compose, elle peut aider même les plus habitués à revoir leur recette!
Comme dans toute forme d’art, je trouve que le plus difficile est le dosage de ce que l’on doit garder ou retirer pour laisser « vivre » notre message.
J’ai adoré l’analogie entre la musique et la cuisine, choisir sa recette, partir au marché, réunir ses ingrédients puis passer à l’action. Le parallèle rend tout de suite le processus de création beaucoup plus concret et moins intimidant.
En lisant, je me disais « c’est presque sécurisant, cette liste de questions à se poser avant et après l’écriture et la composition. » Mais c’est finalement ce qu’on appelle les règles de l’art. Et la sécurité ressentie, c’est l’assurance d’arriver à un beau résultat, comme lorsqu’on suit une recette de cuisine. Merci Denis pour cet article qui m’ouvre particulièrement les yeux sur le métier d’autrice-compositrice (même amatrice)
J’adore ce parallèle que tu fais entre chanson et cuisine ! C’est tellement juste. En plus, j’ai pris plaisir à revoir Bernard Lavilliers et sa salsa dont je suis grande fan. Merci Denis !