Les yeux d’Emilie

Il y a une chanson française qui est à l’aise partout : on la braille dans les stades, on la danse en discothèque, on l’écoute religieusement dans son salon…
Cette chanson qui a traversé les décennies sans prendre une ride, c’est bien sûr « Dans les yeux d’Émilie » le tube de Joe Dassin sorti en 1977.

Aujourd’hui plus que jamais, elle reste associée à une certaine idée de la fête, de l’insouciance et de la nostalgie. Et pourtant…

Derrière sa mélodie entraînante et son refrain fédérateur se cache un remarquable travail d’écriture et de composition, avec une production très sérieuse, révélatrice d’une époque et d’une certaine conception de la variété française.

Mais d’abord, les paroles !

Les paroles de « Dans les yeux d’Emilie »

COUPLET 1
Dans son quartier du vieux Québec
Les rues ont l’air d’avoir l’accent
Et l’an deux mille voisine avec
Les maisons grises du vieux temps

Mais l’hiver vient d’éclater
Le Saint-Laurent est prisonnier
D’un décembre qui va bien durer six mois

Quand les jours ressemblent aux nuits
Sans éclaircie à espérer
Qui peut croire que l’été nous reviendra


REFRAIN
Moi, j’avais le soleil jour et nuit

Dans les yeux d’Emilie
Je réchauffais ma vie
À son sourire
Moi, j’avais le soleil nuit et jour
Dans les yeux de l’amour
Et la mélancolie
Au soleil d’Emilie
Devenait joie de vivre

COUPLET 2
Dans son quartier du vieux Québec
Quand les toits redeviennent verts
Quand les enfants ont les pieds secs
On tourne le dos à l’hiver

C’est la fête du printemps
Le grand retour du Saint-Laurent
On dirait que les gens sortent de la terre

Mais Emilie n’est plus à moi
J’ai froid pour la première fois
Je n’ai plus ni sa chaleur, ni sa lumière


REFRAIN
(en ce temps-là)
REFRAIN

Carte d’identité de « Dans les yeux d’Emilie »

Auteurs : Pierre Delanoë – Claude Lemesle
Compositeurs : Vivien Vallay – Yvon Ouazana

Première sortie : 1977
Titre 1977: Dans les yeux d’Emilie
Interprète : Joe Dassin

Seconde sortie : 2023
Titre 2023 : Les yeux d’Emilie
Interprète : Collectif métissé

L’histoire de « Dans les yeux d’Emilie »

On est en 1977, et Joe Dassin est déjà une immense star en France.
Deux ans plus tôt, il avait fait confiance à Pierre Delanoë, un des plus grands paroliers français, et à un petit nouveau, Claude Lemesle, pour lui écrire « L’été indien », qui allait devenir un énorme tube.

Et en 77 « l’équipe à Jojo » remet ça !
Avec « Dans les yeux d’Emilie », un titre à la fois simple et évocateur, Joe Dassin tenait une chanson légère mais efficace, tant pour les concerts que pour les passages télévisés.
Oui, dès le départ, « Dans les yeux d’Émilie » a été pensée comme un morceau festif, capable d’emporter immédiatement l’adhésion du public…
…et bien sûr, rien ne s’est passé comme on l’imaginait !

Une création collective

Du côté des paroles d’abord…

C’est Pierre Delanoë qui dégaine le premier : Il rédige une première version des paroles. Fidèle à son habitude, il plante le décor : le vieux Québec en hiver…

C’est ensuite qu’intervient le petit jeunot : Claude Lemesle, qui va remodeler le texte, réécrire certains passages des couplets, et apporter plus de fluidité et de naturel au propos.
En effet, Delanoë avait une approche plus littéraire, voire plus « noble », tandis que Lemesle cherchait un style plus direct et « chantable ».
C’est ainsi qu’on doit à ce duo atypique plusieurs grands succès !
En résumé : idée et base du texte : Pierre Delanoë.
Réécriture, modernisation, simplification : Claude Lemesle.

Du côté de la musique ensuite…

Création collective également, puisque ce sont Yvon Ouazana et Vivien Vallay qui co-composent à quatre mains cet opus mythique.

La seconde vie de « Dans les yeux d’Emilie »

« Dans les yeux d’Emilie » vit sa vie de chanson : un succès, mais pas un tube comme « L’été Indien ».

C’est en 2010 que les choses basculent, à Pomarez, une petite commune du Sud-Ouest.

La « banda » locale (c’est comme ça qu’on appelle une fanfare dans le Sud-Ouest) se met à jouer « Les yeux d’Emilie » et son fameux « O-O-Ooo ! » à l’occasion de la Coupe des Landes de basket amateur qui se déroule chaque année sur place.

Et les supporters la reprennent ! « O-O-O-O-Oooo » !

Ca marche tellement bien que cinq ans plus tard, « Les yeux d’Emilie », soulagés de leurs couplets un peu trop intellos, deviennent très officiellement l’hymne officiel de l’Equipe de France de Basket
Et voilà notre petite fanfare locale invitée partout en France pour jouer « Les yeux d’Emilie » !

On commence à entendre l’hymne dans les carnavals, et même… dans les ronds-points tenus par les « gilets jaunes » ! Et ce n’est pas fini !

La troisième vie de « Dans les Yeux d’Emilie »

Ce n’est pas fini !
En 2023, c’est le rugby qui s’empare des « yeux d’Emilie » à l’occasion de la Coupe du Monde qui se déroule en France.
C’est ainsi que Sony Music demande à une autre « banda », Lous Faïences, de réaliser un véritable remix de la chanson à la sauce « fanfare ».
Et ça sort le… 8 septembre 2023, le jour du match d’ouverture de la Coupe du Monde !
Le nouvel hymne « officiel » du rugby était né !


Comme par hasard, Collectif Métissé sort en même temps sa version simplifiée (sans couplets) de « Les Yeux d’Emilie » avec un esprit très « animation ». N’oublions pas que son leader, Soma Riba, est animateur et DJ tout autant que producteur et chanteur !

S’ensuivent des millions de visionnements Youtube, TikTok, des tutos et des reprises en tout genre…
Un mythe était né !

Qu’en disent les principaux concernés, Vivien Valey et Claude Lemesle  ?

Vivien Valey nous dit : 

« Quand je vois les images dans les rues, dans les bars avec ces gens qui tapent sur le zinc… Susciter le bonheur, c’est assez indescriptible comme sentiment.

Moi, je suis un artisan. Le succès de cette chanson, qui revit plus de quarante-cinq ans après, prouve qu’on a un rôle à jouer dans la ruche humaine » 

Quant à Claude Lemesle, voici ce qu’il m’a raconté avec sa malice habituelle :
En venant animer ses ateliers d’écriture, voilà qu’il croise dans le train des gamins qui chantaient sa chanson.
Il leur a dit alors que c’était lui qui l’avait écrite.
Stupéfaits, les gars lui demandent, les yeux écarquillés : « M’sieu, vous êtes Jo Dassin ?!? ».

La recette de « Dans les yeux d’Emilie »

Côté paroles :

Les paroles racontent une histoire toute simple : un souvenir heureux, associé à une personne aimée et à une ville, Émilie et le vieux Québec.
Le texte joue sur l’idéalisation du passé, thème universel auquel chacun peut s’identifier. Les mots, volontairement simples, nous touchent directement au cœur.

En quelques mots, Delanoë plante le décor. C’est sa technique d’écriture.

Quant à la suite, Claude Lemesle s’en charge !
C’est un enchaînement d’instants magnifiques tant dans le choix des mots que dans les images qu’ils évoquent.

Quand simplicité rime avec génie !!!

La construction elle-même est somptueuse, avec des couplets en 2 parties :
– Première partie en rimes croisées ABAB qui « fixent » littéralement le décor.
– Deuxième partie en rimes-refrain AAX BBX, qui soulignent la nostalgie.

Le refrain quant à lui propose élégamment une construction en miroir, de « jour et nuit » à « nuit et jour », qui renvoie à l’alternance entre l’hiver québecois avec ses longues nuits et le printemps canadien avec ses jours qui rallongent à l’infini.
Une inversion qui fait écho à l’amour d’Emilie qui disparaît avec les beaux jours. Somptueux !
Ce n’est pas par hasard que mon ami Claude Lemesle est devenu LA référence de la chanson française!

Côté musique :

Tadada, Tadada, Tadadaaaa !
Bien sûr, il y a ces trompettes qui donnent à tout le monde envie de de se lever, et les O-O-O-O-Oooo » qu’on ne peut pas s’empêcher de chanter à tue-tête, mais ce n’est pas tout !
Car le succès de cette chanson repose très largement sur sa structure musicale.

Dans les couplets

Les compositeurs ont maintenu une tension incroyable, par une succession de descentes et de montées chromatiques, c’est-à-dire demi-ton par demi-ton.

Première partie, on est dans des accords mineurs, qui descendent par demi-tons : Dom, Sim, Sibm, comme l’hiver qui descend sur la ville.

Seconde partie, une montée chromatique (comme dans James Bond), typique des chansons qui cherchent à créer un effet d’ascension émotionnelle.

Mais ce n’est pas tout !

Dans le refrain

Changement total d’ambiance, on bascule en majeur, carrément solaire :

D’abord, on monte l’accord parfait (je transpose en do):
Moii j’aaa Vais Le So Leil c’est Doo Miii Sool La Si Do
Super facile à chanter ! Il n’y a pas plus simple et entrainant ! Alors on continue !

La même chose un ton plus haut :
Jouur Eeet Nuiit Dans les Yeux c’est Rééé Faaa Laa La Si Do

Ensuite, on redescend l’escalier de la gamme D’É Mi Liiiie pour (Do) Si La Sool
Et ainsi de suite : on remonte, on redescend : Sol La Si La Sol Fa
Puis retour à la case départ en redescendant une dernière fois Sol Fa Mi Ré Do

La seconde partie du refrain reprend exactement la même chose, (avec juste une petite nuance).
Enfin, une note dans l’accord final nous prépare au retour vers le mode mineur du couplet.

Jamais d’écart compliqué : ce sont les notes de la gamme, dans l’ordre et sans (mauvaise) surprise.
Un enfant pourrait les jouer au piano !
Voilà comment on obtient une chanson naturelle, entraînante et facile à chanter !

Simple, n’est-ce pas? Une simplicité géniale, qui est le propre des grandes chansons ! C’est un parfait exemple de structure en arche, si recherchée en musique populaire.

Le tuto guitare

Emilie est née au Québec, elle y retourne : j’invite les guitaristes à aller voir cet excellent tuto créé par Mathieu Tremblay (un vrai québécois !) de la chaîne « Je joue de la guitare ».

A vous de jouer :

vous aussi, vous pouvez faire un tube.
Non, non, je ne plaisante pas !

La recette est simple :
Tout doit se mémoriser dès la première écoute, et donner envie de chanter ! Donc…

Côté paroles, un refrain répétitif avec un gimmick positif.
Côté musique, une structure tonique, « en arche », avec des notes simples à retenir : montées et/ou descente de gamme, accords parfaits, notes tenues.

L’ensemble doit inviter à une participation collective : des « La la la », des « wo-o-o », et donner envie de taper dans les mains.
Alors, chiche ? Vous pouvez l’envoyer en commentaire !

En conclusion :

On aurait bien tort de penser que « Les yeux d’Emilie » est devenu un immense succès populaire par hasard.
Le grand talent de ses auteurs et de ses compositeurs, a été de mettre en place une structure musicale et un mécanisme d’écriture qui correspondent aux stratégies classiques de la variété française pour ancrer un refrain dans les esprits.

C’est comme cela que depuis sa sortie, « Dans les yeux d’Émilie » n’a jamais quitté les playlists de fêtes, de mariages, et d’événements sportifs. Elle est devenue au fil du temps une sorte de patrimoine affectif pour plusieurs générations de Français qui fédère au-delà des goûts et des âges.

Et vous savez quoi ? La prochaine, c’est peut-être vous qui allez l’écrire !

Vive la variété populaire, et

Vive la chanson !

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10 réponses à “Les yeux d’Emilie”

  1. Avatar de Sylvie

    Merci pour cette découverte, et de la chanson et de son histoire!! J’aime particulièrement tes explications sur la construction en miroir qui sert le propos.

    1. Avatar de Denis Perrin

      Merci pour ton commentaire ! Le « miroir » est une valeur sûre en chanson, surtout bien sûr lorsque comme ici elle sert le propos !

  2. Avatar de Stéphanie
    Stéphanie

    comme dab j’adore et je joue le jeu en me faisant aidé per l’IA : 🤪

    Titre: Tala dans le vent
    Style: [french pop, nostalgic ballad, male voice with choral backing]
    Lyrics:

    [Intro, Gentle piano, Melodic trumpet]
    (Oooh oooh oooh…)
    Tala dans le vent, le cœur plus fort que le temps

    [Verse 1]
    Sur le sentier bordé de pins,
    Son souffle danse au rythme du matin.
    La neige craque sous ses doux pas,
    Mais Tala ne ralentit pas.

    Son regard bleu comme l’infini,
    Parle d’amour, de défis.
    Même boitant, elle rit du vent,
    Elle vit l’instant, tout simplement.

    [Chorus, Uplifting major key, Choral echoes]
    Jour et nuit, elle court dans ma vie,
    Tala, ma lumière, mon cri.
    Ses silences parlent d’espoir,
    Sous la lune ou dans le noir.

    Nuit et jour, elle brave la douleur,
    Chaque balade devient bonheur.
    Et moi je chante pour elle,
    Ma Tala, éternelle.

    [Verse 2, Chromatic descent, Minor mood returns]
    Les soirs d’hiver, quand tout se fige,
    Elle écoute les étoiles, sans piège.
    Un frisson passe dans ses poils gris,
    Mais jamais elle ne fuit la nuit.

    Ses yeux me disent “Je suis encore là”,
    Même si ma patte ne suit pas.
    Son monde tient dans un regard,
    Qui fait fondre tous les brouillards.

    [Chorus, Repeat with energy rise]
    Jour et nuit, elle court dans ma vie,
    Tala, ma lumière, mon cri.
    Ses silences parlent d’espoir,
    Sous la lune ou dans le noir.

    Nuit et jour, elle brave la douleur,
    Chaque balade devient bonheur.
    Et moi je chante pour elle,
    Ma Tala, éternelle.

    [Bridge, Trumpet echo, Emotional lift]
    (La la la la…)
    Même blessée, elle n’a jamais plié,
    Chaque pas est une clarté.
    Sous les cieux ou sous la pluie,
    Tala vit, Tala rit.

    [Final Chorus, Key modulation, Strong finish]
    Jour et nuit, elle court dans ma vie,
    Tala, ma lumière, mon cri.
    Ses silences parlent d’espoir,
    Sous la lune ou dans le noir.

    Nuit et jour, elle brave la douleur,
    Chaque balade devient bonheur.
    Et moi je chante pour elle,
    Ma Tala, éternelle.

    [Outro, Trumpets fade, Gentle hum]
    (Oooh oooh Tala… dans le vent…)

    1. Avatar de Denis Perrin

      Merci et Bravo d’avoir relevé ce défi ! Bon… hum comment dire. Heu, ce n’est pas demain que l’IA rivalisera avec Delanoë et Lemesle, hein ? 😉

  3. Avatar de Edouard Le Minor

    Merci pour cet article captivant ! J’ai particulièrement apprécié la manière dont tu retraces l’histoire de « Dans les yeux d’Émilie », en mettant en lumière la collaboration entre Pierre Delanoë, Claude Lemesle, Yvon Ouazana et Vivien Vallay. La comparaison entre la version originale de Joe Dassin et la reprise festive du Collectif Métissé est également très intéressante. Un bel hommage à une chanson emblématique de la variété française. Merci pour ce partage enrichissant !

    1. Avatar de Denis Perrin

      Ca en fait du monde, pour une seule chanson… et encore, il faudrait ajouter les dizaines de musiciens des fanfares et les milliers (millions?) de supporters qui l’entonnent à l’unisson ! 😉

  4. Avatar de Eva

    Quelle odyssée, cette chanson, que je ne connaissais pas (!). Le contraste entre l’histoire intime et nostalgique et l’hymne solaire qu’elle est devenue donne le vertige. Pas étonnant qu’ils s’y soient pris à plusieurs pour concocter cette merveille, c’est drôlement malin et puissant ! Merci pour cette analyse détaillée et toujours généreuse d’un tube fédérateur. Je n’écouterai plus les mélodies de la même façon !

    1. Avatar de Denis Perrin

      Ce qui est singulier, c’est que les paroles des couplets, pourtant magnifiques, sont un peu passées à la trappe tant la musique du refrain est devenue populaire ! La rançon de la gloire ! 😉

  5. Avatar de Miren

    Merci pour cet article qui m’a replongé dans mes souvenirs ! La reprise de « Dans les yeux d’Émilie » par Collectif Métissé apporte une touche festive et moderne à ce classique de Joe Dassin. J’ai particulièrement apprécié la manière dont tu analyses cette version, en soulignant comment elle conserve l’émotion de l’original tout en y ajoutant une énergie nouvelle. Ton article m’a donné envie de réécouter cette chanson sous un autre angle. Merci pour ce partage enrichissant !

    1. Avatar de Denis Perrin

      Merci Miren ! Les versions « fanfare » qui fleurissent ça et là valent aussi souvent leur pesant de sourires !

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